Bref examen critique
du nouvel Ordo Missae

présenté à Paul VI
par les cardinaux
Ottaviani et Bacci


traduction française intégrale

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Préface : Lettre à Paul VI des cardinaux Ottaviani et Bacci



Très Saint Père,

Après avoir examiné et fait examiner le nouvel ORDO
MISSAE préparé par les experts du " Comité pour l'applica-
tion de la Constitution sur la liturgie ", après avoir longue-
ment réfléchi et prié, nous sentons le devoir, devant Dieu et
devant Votre Sainteté, d'exprimer les considérations sui-
vantes:


1 Comme le prouve suffisamment l'examen critique ci-
joint, si bref soit-il, œuvre d'un groupe choisi de
théologiens, de liturgistes et de pasteurs d'âmes, le nouvel
ORDO MISSAE, si l'on considère les éléments nouveaux, sus-
ceptibles d'appréciations fort diverses, qui y paraissent
sous-entendus ou impliqués, s'éloigne de façon impres-
sionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la
théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu'elle a été
formulée à la XXe session du Concile de Trente, lequel, en
fixant définitivement les " canons " du rite, éleva une
barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait
porter atteinte à l'intégrité du Mystère.


2 Les raisons pastorales avancées pour justifier une si
grave rupture, même si elles avaient le droit de sub-
sister en face de raisons doctrinales, ne semblent pas suf-
fisantes. Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel
ORDO MISSAE, et en revanche tant de choses éternelles s'y
trouvent reléguées à une place mineure ou à une autre
place, - Si même elles y trouvent encore une place, - que
pourrait se trouver renforcé et changé en certitude le doute,
qui malheureusement s'insinue dans de nombreux milieux,
selon lequel des vérités toujours crues par le peuple chré-
tien pourraient changer ou être passées sous silence sans
qu'il y ait infidélité au dépôt sacré de la doctrine auquel
la foi catholique est liée pour l'éternité. Les récentes ré-
formes ont suffisamment démontré que de nouveaux chan-
gements dans la liturgie ne pourront pas se faire sans
conduire au désarroi le plus total des fidèles qui déjà ma-
nifestent qu'ils leur sont insupportables et diminuent in-
contestablement leur foi. Dans la meilleure part du clergé
cela se marque par une crise de conscience torturante dont
nous avons des témoignages innombrables et quotidiens.


3 Nous sommes assurés que ces considérations, direc-
tement inspirées de ce que nous entendons par la voix
vibrante des pasteurs et du troupeau, devront trouver un
écho dans le cœur paternel de Votre Sainteté, toujours Si
profondément soucieux des besoins spirituels des fils de
l'Eglise. Toujours les sujets, pour le bien desquels est
faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le devoir, si
la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au
législateur, avec une confiance filiale, son abrogation.

C'est pourquoi nous supplions instamment Votre Sain-
teté de ne pas vouloir que dans un moment où la pureté
de la foi et l'unité de l'Eglise souffrent de si cruelles lacé-
rations et des périls toujours plus grands, qui trouvent
chaque jour un écho affligé dans les paroles du Père
commun - nous soit enlevée la possibilité de continuer
à recourir à l'intègre et fécond Missel romain de saint
Pie V, hautement loué par Votre Sainteté et si profondé-
ment vénéré et aimé du monde catholique tout entier.


Cardinal Ottaviani.
Cardinal Bacci.


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Bref examen critique


I


Le Synode épiscopal convoqué à Rome au mois d'octobre
1967 eut à prononcer un jugement sur la célébration expé-
rimentale d'une messe dite "messe normative". Cette
messe avait été élaborée par le Consilium ad exequendam
Constitutionem de Sacra Liturgia (Comité pour l'application
de la Constitution conciliaire sur la liturgie).
Une telle messe provoqua la plus grave perplexité parmi
les membres du Synode : une vive opposition (43 non pla-
cet), de nombreuses et substantielles réserves (62 juxta
modum) et 4 abstentions, - sur un total de 187 votants.
La presse internationale d'information parla d'un
"refus" du Synode. La presse de tendance novatrice
passa l'événement sous silence. Un périodique connu, destiné
aux évêques et exprimant leur enseignement, résuma le
nouveau rite en ces termes

" On veut faire table rase de toute la théologie de la
Messe. En substance, on se rapproche de la théologie
protestante qui a détruit le sacrifice de la Messe ".

Dans le nouvel ORDO MISSAE promulgué par la Constitu-
tion apostolique Missale romanum du 3 avril 1969, on
retrouve, identique dans sa 8ubstance, la "messe norma-
tive". Il ne semble pas que, dans l'intervalle, les Conféren-
ces épiscopales en tant que telles aient été consultées à
ce sujet.

****

La Constitution apostolique Missale romanum affirme
que l'ancien Missel promulgué par saint Pie V (Bulle Quo
Primuin, 19 juillet 1.570), - mais qui remonte en grande
partie à Grégoire le Grand et même à une antiquité encore
plus haute (*) - fut pendant quatre siècles la norme de la
célébration du Sacrifice pour les prêtres de rite latin. La
Constitution apostolique Missale romanum ajoute que dans
ce Missel, répandu par toute la terre, " d'innombrables
saints trouvèrent la nourriture surabondante de leur piété
envers Dieu ".

Et pourtant la réforme qui veut mettre ce Missel défini-
tivement hors d'usage aurait été rendue nécessaire, selon
la même Constitution, " à partir du moment où commen-
ça à se répandre davantage dans le peuple chrétien et à
s'affermir le goût d'une culture liturgique dont il convenait
de soutenir la ferveur "

Cette dernière affirmation renferme, de toute évidence,
une grave équivoque.

Si en effet le peuple chrétien exprima son désir, ce fut
quand - principalement sous l'impulsion de saint Pie X
- il se mit à découvrir les trésors authentiques et im
mortels de sa liturgie. Jamais, absolument jamais, le
peuple chrétien n'a demandé que, pour la faire mieux
comprendre, on change ou on mutile la liturgie. Ce qu'il
demande à mieux comprendre, c'est l'unique, c'est. l'im-
muable liturgie, que jamais il n'aurait voulu voir changer.
Le Missel romain de saint Pie V était très cher au cœur
des catholiques qui, prêtres et laïcs, le vénéraient reli-
gieusement. On ne voit pas en quoi l'usage de ce Missel,
accompagné d'une initiation appropriée, pourrait faire
obstacle à une plus grande participation et à une meil-
leure connaissance de la liturgie sacrée ; on ne voit pas
pourquoi, tout en lui reconnaissant de si grands mérites,
comme fait la Constitution Missale romanum, on ne l'a
plus estimé capable de continuer à nourrir la piété litur-
gique du peuple chrétien.


Ainsi donc, le Synode épiscopal avait refusé cette
" messe normative " qui est aujourd'hui reprise en sub-
stance et imposée par le nouvel ORDO MISSAE. Celui-ci n'a
jamais été soumis au jugement collégial des Conférences
épiscopales. Jamais le peuple chrétien (et surtout pas
dans les missions) n'a voulu une quelconque réforme
de la Sainte Messe. On ne parvient donc pas à discerner
les motifs de la nouvelle législation qui ruine une tradition
dont la Constitution Missale romanum elle-même recon-
naît qu'elle est inchangée depuis le IV ou le Ve siècle.

Par conséquent, les motifs d'une telle réforme n'exis-
tant pas, la réforme elle-même apparaît dépourvue du
fondement raisonnable qui, en la justifiant, la rendrait
acceptable au peuple catholique.

Le Concile avait bien exprimé, au numéro 50 de sa
Constitution sur la liturgie, le désir que les différentes
parties de la Messe fussent réordonnées " de telle sorte
que la raison propre de chacune de ses parties ainsi que
leurs connexions mutuelles apparaissent plus clairement. "
Nous allons voir comment le nouvel ORDO MISSAE répond
à ces vœux, dont nous pouvons dire qu'il ne reste, en
fait, aucun souvenir.

***

L'examen détaillé du nouvel ORDO MISSAE révèle des
changements d'une telle portée qu'ils justifient sur lui
le même jugement que sur la "messe normative".
Le nouvel ORDO MISSAE comme la " messe normative ",
est fait pour contenter sur bien des points les plus moder-
nistes des protestants.



II


Commençons par LA DEFINITION DE LA MESSE.
Elle est donnée au numéro 7 du second chapitre de
l'Institutio generalis. Ce chapitre est intitulé : "La
structure de la Messe ".


Voici cette définition

"La Cène dominicale est la synaxe (*) sacrée ou le
rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la
présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Sei-
gneur (*). C'est pourquoi vaut éminemment pour l'assem-
blée locale de la sainte Eglise la promesse du Christ Là
où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu
d'eux (Mat., XVIII, 20).
"

La définition de la Messe est donc réduite à celle d'une
"cène" et cela réapparaît continuellement (aux numé-
ros 8, 48, 55, 56 de l'lnstitutio generalis).

Cette "cène" est en outre caractérisée comme étant
celle de l'assemblée présidée par le prêtre ; celle de l'as-
semblée réunie afin de réaliser "le mémorial du Sei-
gneur", qui rappelle ce qu'il fit le jeudi-saint.

Tout cela n'implique ni la Présence réelle, ni la réalité
du Sacrifice, ni le caractère sacramentel du prêtre qui
consacre, ni la valeur intrinsèque du Sacrifice eucharis-
tique indépendamment de la présence de l'assemblée (*).

En un mot, cette nouvelle définition ne contient aucune
des données dogmatiques qui sont essentielles à la Messe
et qui en constituent la véritable définition. L'omission,
en un tel endroit, de ces données dogmatiques, ne peut
être que volontaire.


Une telle omission volontaire signifie leur " dépasse-
ment " et, au moins en pratique, leur négation (*).

***

Dans la seconde partie de la nouvelle définition, on
aggrave encore l'équivoque. On y affirme en effet que
l'assemblée en laquelle consiste la Messe réalise "éminem-
ment" la promesse du Christ : " Là où deux ou trois
d'entre vous sont réunis en mon nom, je suis au milieu
d'eux ".

Or cette promesse concerne formellement la présence
spirituelle du Christ en vertu de la grâce.

En sorte que l'enchaînement et la suite des idées,
dans le numéro 7 de l'Institutio generalis, induit à penser
que cette présence spirituelle du Christ, à l'intensité près,
est qualitativement homogène à la présence substantielle
propre au sacrement de l'Eucharistie.

La nouvelle définition du numéro 7 est immédiate-
ment suivie, au numéro 8, par la division de la Messe en
deux parties

- liturgie de la parole

- liturgie eucharistique.

Cette division est accompagnée par l'affirmation que
la Messe comporte la préparation

- de la " table de la parole de Dieu ",

- de la " table du Corps du Christ ",

afin que les fidèles soient " enseignés et restaurés ".
Il y a là une assimilation des deux parties de la litur-
gie, comme s'il s'agissait de deux signes d'égale valeur
symbolique. Assimilation qui est absolument illégitime.
Nous y reviendrons plus loin.


L'Institutio generalis, qui constitue l'introduction du
nouvel ORDO MISSAE emploie pour désigner la Messe des
expressions nombreuses qui seraient toutes acceptables
relativement. Elles sont toutes à rejeter Si on les emploie
- comme elles le sont - séparément et dans l'absolu
chacune acquérant une portée absolue du fait qu'elle
est employée séparément.


En voici quelques-unes

- " action du Christ et du peuple de Dieu "
- " Cène du Seigneur "
- " repas pascal."
- " participation commune à la table du Seigneur "
- " prière eucharistique "
- " liturgie de la parole et liturgie eucharistique ",
etc...

Il est manifeste que les auteurs du nouvel ORDO MISSAE
se ont mis l'accent, de façon obsessionnelle, sur la cène
et sur la mémoire qui en est faite, et non pas sur le
renouvellement (non sanglant) du sacrifice de la Croix.
On doit même observer que la formule : "Mémorial
de la Passion et de la Résurrection du Seigneur" n'est pas
exacte. La Messe se réfère formellement au seul Sacrifice,
qui est, en soi, rédempteur ; la Résurrection en est le
fruit (*). - Nous verrons plus loin avec quelle cohérence
systématique, dans la formule consécratoire elle-mêrne
et en général dans tout le nouvel ORDO, les mêmes équi-
voques sont renouvelées et répétées avec insistance.

III

Venons-en maintenant aux FINALITES DE LA
MESSE : à savoir sa finalité ultime, sa finalité pro-
chaine et sa finalité immanente.


1. - FINALITE' ULTIME.

La fin ultime de la Messe consiste en ce qu'elle est un
sacrifice de louange à la Très Sainte Trinité, - confor-
mément à l'intention primordiale de l'Incarnation, décla-
rée par le Christ Lui-même " Entrant dans le monde
il dit : Tu n'as voulu ni victime ni oblation, mais tu m'as
formé un corps " (Ps. 40, 7-9 ; Heb., X, 5).
Cette finalité ultime et essentielle, le nouvel ORDO
MISSAE la fait disparaître
- premièrement, de l'Offertoire, où ne figure plus
la prière Suscipe Sancta Trinitas (ou Suscipe Sancte
Pater)
- deuxièmement, de la conclusion de la Messe, qui
ne comporte plus le Placeat tibi Sancta Trinitas
- troisièmement, de la Préface puisque la Préface
de la Sainte Trinité ne sera plus prononcée qu'une fois
l'an.


2. - FINALITE PROCHAINE.

La fin prochaine de la Messe consiste en ce qu'elle est
un sacrifice propitiatoire (*).
Cette finalité est compromise elle aussi : alors que la
Messe opère la rémission des péchés, tant pour les vivants
que pour les morts, le nouvel ORDO met l'accent sur la
nourriture et la sanctification des membres présents de
l'assemblée.
Le Christ institua le Sacrement pendant la dernière
Cène et se mit alors en état de victime pour nous unir à
son état de victime ; c'est pourquoi cette immolation pré-
cède la manducation (*) et renferme plénièrement la
valeur rédemptrice qui provient du Sacrifice sanglant.
La preuve en est que l'on peut assister à la Messe sans
communier sacramentellement (*).



3. - FINALITÉ IMMANENTE.

La fin immanente de la Messe consiste en ce qu'elle est
primordialement un Sacrifice.
Or il est essentiel au Sacrifice, quelle qu'en soit la
nature, d'être agréé de Dieu, c'est-à-dire d'être accepté
comme sacrifice.
Dans l'état de péché originel, aucun sacrifice ne serait,
en droit, acceptable par Dieu. Le seul sacrifice qui puisse
et doive en droit être accepté est celui du Christ. Aussi
était-ce éminente convenance que l'Offertoire référât d'em-
blée le Sacrifice de la Messe au Sacrifice du Christ.
Mais le nouvel ORDO MISSAE dénature l'offrande en la
dégradant. Il la fait consister en une sorte d'échange entre
Dieu et l'homme : l'homme apporte le pain et Dieu le
change en pain de vie; l'homme apporte le vin, et Dieu en
fait une boisson spirituelle : "Tu es béni, Seigneur Dieu
de l'univers, parce que de ta libéralité nous avons reçu
le pain (ou le vin) que nous t'offrons, fruit de la terre
(ou : de la vigne) et du travail de l'homme, d'où provient
pour nous le pain de vie (ou : la boisson spirituelle) ".
Est-il besoin de faire remarquer que les expressions
" pain de vie " (panis vitoe) et " boisson spirituelle "
(potus spiritualis) sont absolument indéterminées : elles
peuvent signifier n'importe quoi. Nous retrouvons ici la
même équivoque capitale que dans la définition de la
Messe : dans la définition, référence à la présence spiri
tuelle du Christ parmi les siens ; ici, le pain et le vin
sont changés spirituellement on ne précise plus qu'ils le
sont substantiellement (*).
Dans la préparation des oblats (*), un semblable jeu
d'équivoques est réalisé par la suppression des deux admi-
rables prières
- Deus qui humanae substantiae...
- Offerimus tibi, Domine...
La première de ces deux pnères déclare " O Dieu qui
avez créé la nature humaine d'une manière admirable et
qui d'une manière plus admirable encore l'avez rétablie
dans sa premiére dignité". C'est un rappel de l'antique
condition d'innocence de l'homme et de sa condition ac-
tuelle de racheté par le sang du Christ ; c'est une récapi-
tulation discrète et rapide de toute l'économie (*) du sacri-
fice depuis Adam jusqu'au temps présent.


La seconde de ces deux prières, qui est la finale de
l'Offertoire, s'exprime sur le mode propitiatoire ; elle
demande que le calice s'élève cum odore suavitatis en
présence de la Majesté divine dont on implore la clémen-
ce ; elle souligne merveilleusement cette même économie
du sacrifice.

Ces deux prières sont supprimées dans le nouvel ORDO
MISSAE.

Supprimer ainsi la référence permanente à Dieu qu'ex-
plicitait la prière eucharistique, c'est supprimer toute dis-
tinction entre le sacrifice qui procède de Dieu et celui
qui vient de l'homme.


***


Si l'on détruit ainsi la clef de voûte, on est bien forcé
de fabriquer des échafaudages de remplacement : Si l'on
supprime les finalités véritables de la Messe, on est bien
forcé d'en inventer de fictives. Voici donc des gestes nou-
veaux pour souligner l'union entre le prêtre et les fidèles,
et celle des fidèles entre eux ; voici la superposition, des-
tinée à s'effondrer dans le grotesque, des offrandes faites
pour les pauvres et pour l'église à l'offrande de l'Hostie
destiné au Sacrifice.

Par cette confusion, la singularité primordiale de l'Hos-
tie destinée au Sacrifice est effacée ; en sorte que la parti-
cipation à l'immolation de la Victime deviendra une réu-
nion de philanthropes ou un banquet de bienfaisance.


IV


Considérons maintenant L'ESSENCE DU SACRI-
FICE dans le nouvel ORDO MISSAE.


Le mystère de la Croix n'est plus exprimé de manière
explicite. Il est dissimulé à l'ensemble des fidèles. Cela
résulte de multiples dispositifs dont voici les principaux.


1. - LE SENS DONNÉ A LA DÉNOMMÉE " PRIÈRE EUCHA-
RISTIQUE ".


Le numéro 54 (in fine) de l'Institutio déclare

" Le sens de la prière eucharistique consiste en ce que
toute l'assemblée des fidèles s'unisse au Christ pour con
fesser les grandeurs de Dieu et offrir le sacrifice. "

De quel sacrifice s'agit-il ?

Qui est celui qui offre le sacrifice ?

Aucune réponse à ces questions.

Le même numéro 54 donne en commençant une défi-
nition de la " prière eucharistique "

~ Voici que commence maintenant ce qui constitue le
centre et le sommet de toute la célébration, la Prière eucha-
ristique, ou prière d'action de grâces et de sanctification ~.

On le voit : les EFFETS sont ainsi substitués à la CAUSE.

De la cause, on ne dit pas un seul mot. La mention
explicite de la finalité ultime de la Messe, qui se trouve
dans le Suspice que l'on a supprimé, n'est remplacée par
rien. Le changement de formule révèle le changement
de doctrine.

2. - L'OBLITÉRATION DU RÔLE JOUÉ PAR LA PRÉ-
SENCE RÉELLE DANS L'ÉCONOMIE DU SACRIFICE.


La raison pour laquelle le Sacrifice n'est plus men-
tionné explicitement est que l'on a supprimé le rôle cen-
tral de la Présence réelle.

Ce rôle central est mis en une éclatante lumière dans
toute la liturgie eucharistique du Missel romain de saint
Pie V. Dans l'Institutio generalis au contraire, la Présence
réelle n'est mentionnée qu'une seule fois, dans une note
(note 63 au numéro 241), qui est l'unique citation du Con-
cile de Trente ! Cette mention se rapporte d'ailleurs à
la Présence réelle en tant que nourriture. Mais il n'y a
nulle part aucune allusion à la Présence réelle et perma-
nente du Christ avec son Corps, son Sang, son Ame et
sa Divinité dans les espèces transsubstantiées. Le mot lui-
même de transsubstantiation ne figure nulle part.
La suppression de l'invocation à la Troisième Personne
de la Sainte Trinité (Veni Sanctificator), pour qu'elle des-
cende sur les oblats comme jadis elle descendit dans le
sein de la Vierge pour y accomplir le miracle de la Divine
Présence, s'inscrit dans ce système de négations tacites,
de désintégration en chaîne de la Présence réelle.
Enfin il est impossible de ne pas remarquer l'aboli-
tion ou l'altération des gestes par lesquels s'exprime spon-
tanément la foi en la Présence réelle. Le nouvel ORDO
MISSAE élimine
- les génuflexions, dont le nombre est réduit à trois
pour le prêtre célébrant, et à une seule (non sans excep-
tions) pour l'assistance, au moment de la consécration
- la purification des doigts du prêtre au-dessus du
calice et dans le calice
- la préservation de tout contact profane pour les
doigts du prêtre après la consécration
- la purification des vases sacrés, qui peut être dif-
férée et faite hors du corporal
- la pale protégeant le calice
- la dorure intérieure des vases sacrés;
- la consécration de l'autel mobile;
- la pierre sacrée et les reliques disposées sur et dans
l'autel lorsque celui-ci est mobile, ou lorsqu'il se réduit
à une simple table quand la célébration ne se fait pas
dans un lieu sacré (cette dernière clause instaure en
droit la possibilité d' " eucharisties domestiques " dans
les maisons particulières)
- les trois nappes d'autel, réduites à une seule
- l'action de grâces à genoux (remplacée par un gro-
tesque remerciement du prêtre et des fidèles assis, aboutis-
sement de la communion debout)
- les prescriptions concernant le cas où une Hostie
consacrée tombe à terre, réduites au numéro 239 à un
" reverenter accipiatur " presque sarcastique.
Toutes ces suppressions ne font qu'accentuer de fa-
çon provocante la répudiation implicite du dogme de la
Présence réelle.



3. - LE RÔLE ASSIGNÉ A L'AUTEL PRINCIPAL.


L'autel est presque toujours désigné par le mot table (*)
" L'autel ou table dominicale, qui est le centre de la
liturgie eucharistique " (cf. numéros 49 et 262). - On
stipule que l'autel doit être séparé des parois pour qu'on
puisse en faire le tour et que la célébration puisse se
faire face au peuple (numéro 262). On précise qu'il
doit être au centre de l'assemblée des fidèles, afin que
l'attention se porte spontanément sur lui (ibid). Mais
la comparaison du numéro 262 et du numéro 276 exclut
nettement que le Saint Sacrement puisse être conserve
sur l'autel majeur. Gela consacrera une irréparable dicho-
tomie entre la Présence du Souverain Prêtre dans le
prêtre célébrant et cette même Présence réalisée sacra-
mentellement. Auparavant, c'était une unique présence (*).
Désormais, on recommande de conserver le Saint Sacre-
ment à part, dans un lieu favorable à la dévotion privée
des fidèles, comme s'il s'agissait d'une relique. Ainsi, ce
qui attirera immédiatement le regard quand on entrera
dans une église, ce ne sera plus le Tabernacle, mais une
table dépouillée et nue. On oppose encore une fois piété
liturgique et piété privée, on dresse autel contre autel.
On recommande avec insistance de distribuer à la com-
munion les hosties qui ont été consacrées au cours de la
même Messe, et même de consacrer un pain de dimen-
sions assez grandes (*) pour que le prêtre puisse le parta-
ger avec une partie au moins des fidèles (*) c'est toujours
la même attitude méprisante envers le Tabernacle com-
me envers toute piété eucharistique en dehors de la Messe
c'est une nouvelle et violente atteinte à la foi en la Présence
réelle tant que durent les Espèces consacrées (*).

4. - LES FORMULES DE LA CONSÉCRATION.

L'antique formule de la Consécration est une formule
proprement sacramentelle, du type intimatif et non du
type narratif.

En voici trois preuves

A) Le texte du récit de l'Ecriture n'y est pas repris
à la lettre. L'insertion paulinienne : " mysterium fidei "
est une confession de foi immédiate du prêtre dans le
mystère réalisé par le Christ dans l'Eglise au moyen de
son sacerdoce hiérarchique (*).

B) Ponctuation et caractères typographiques. - Dans
le Missel romain de saint Pie V, le texte liturgique des
paroles sacramentelles de la Consécration est ponctué et
mis en évidence d'une manière propre.

Le HOC EST ENIM est en effet séparé par un point à la
ligne de la formule qui le précède : " ...manducate ex hoc
omnes ". Ce point à la ligne marque le passage du mode
narratif au mode intimatif qui est propre à l'action sacra-
mentelle.

Les paroles de la Consécration, dans le Missel romain,
sont imprimées en caractères typographiques plus grands,
au centre de la page ; souvent en une couleur différente.

Tout cela manifeste que les paroles consécratoires ont
une valeur propre et par conséquent autonome.

C) L'anamnèse (*) du Canon romain se réfère au Christ
en tant qu'il est opérant, et non pas seulement au souve-
nir du Christ ou de la Cène comme événement historique
HAEC QUOTIESCUMQUE FECERITIS, IN MEI MEMORIAM FACIETIS;
en grec : EIS TÉN EMOU ANAMNESIN; c'est-à-dire " tournés
vers ma mémoire ". Cette expression n'invite pas simple-
ment à se ressouvenir du Christ ou de la Cène : c'est une
invitation à refaire ce qu'il fit, de la même manière qu'il
le fit.
A cette formule traditionnelle du Missel romain, le
rite nouveau substitue une formule de saint Paul : " Hoc
facite in meam commemorationem " qui sera proclamée
quotidiennement en langues vernaculaires. Elle aura pour
effet inévitable, surtout dans ces conditions, de déplacer
l'accent, dans l'esprit des auditeurs, sur le souvenir du
Christ. La " mémoire " du Christ se trouvera désignée
comme le terme de l'action eucharistique, alors qu'elle en
est le principe. " Faire mémoire du Christ " ne sera plus
qu'un but humainement poursuivi. A la place de l'action
réelle, d'ordre sacramentel, s'installera l'idée de " com-
mémoration " (*).
Dans le nouvel ORDO MISSAE, le mode narratif (et non
plus sacramentel) est explicitement signifié dans la des-
cription organique de la " prière eucharistique ", au
numéro 55, par la formule : " récit de l'institution " ; et
encore, au même endroit, par la définition de l'anamnèse
" L'Eglise fait mémoire (memoriam agit) de ce même
Christ ".
La conséquence de tout cela est d'insinuer un chan-
gement du sens spécifique de la Consécration. Selon le
nouvel ORDO MISSAE, les paroles de la Consécration seront
désormais énoncées par le prêtre comme une narration
historique, et non plus comme affirmant un jugement
catégorique et intimatif proféré par Celui en la Personne
de qui le prêtre agit HOC EST CORPUS MEUM et non Hoc
est Corpus Christi
(*).

Enfin, l'acclamation dévolue à l'assistance aussitôt
après la Consécration : " Nous annonçons ta mort, Sei-
gneur... jusqu'à ce que tu viennes ", introduit, sous un
déguisement eschatologique (*), une ambiguïté supplé-
imentaire sur la Présence réelle. On proclame en effet,
sans solution de continuité, l'attente de la venue du
Christ à la fin des temps, juste au moment où Il est venu
sur l'autel où il est substantiellement présent comme Si
la venue véritable était seulement à la fin des temps, et
non point sur l'autel.
Cette ambiguïté est encore renforcée dans la formule
d'acclamation facultative proposée en Appendice (no 2)
" Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons ce
calice, nous annonçons ta mort, Seigneur, jusqu'à ce que
tu viennes ". L'ambiguïté atteint ici au paroxysme, d'une
part entre l'immolation et la manducation, d'autre part
entre la Présence réelle et le second avènement du Christ
(*).


V

Considérons enfin le nouvel ORDO MISSAE au
point de vue de l'ACCOMPLISSEMENT DU SACRIFICE.


Les quatre éléments qui interviennent dans cet accom-
plissement sont, par ordre le Christ, le prêtre, l'Eglise,
les fidèles.


1. - SITUATION DES FIDELES DANS LE NOUVEAU RITE.

Le nouvel ORDO MISSAE présente le rôle des fidèles com-
me autonome, ce qui est manifestement faux. Cela commen-
ce dans la définition initiale du numéro 7 " La Messe est
la synaxe sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu ".
Cela continue par la signification que le numéro 28 attribue
au salut que le prêtre adresse au peuple " Le prêtre, par
une salutation, exprime à la communauté réunie la PRÉ-
SENCE du Seigneur. Par cette salutation et par la réponse
du peuple est manifesté le mystère de l'Eglise assemblée "
Vraie présence du Christ ? Oui, mais seulement spirituelle.
Mystère de l'Eglise ? Certes, mais seulement en tant qu'as-
semblée manifestant ou sollicitant cette présence spiri-
tuelle.
Cela se retrouve continuellement. C'est le caractère
communautaire de la Messe qui revient constamment
comme une obsession (numéros 74 à 152). C'est la distinc-
tion, in-ouïe jusqu'à présent, entre la Messe avec peuple
(cum populo) et la Messe sans peuple (sine populo) (numé-
ros 77 à 231). C'est la définition de la " prière universelle,
ou prière des fidèles " (numéro 45), où l'on souligne en-
core une fois " le rôle sacerdotal du peuple " (populus sui
sacerdotii munus exercens) : ce sacerdoce est présenté en
l'occurrence comme s'exerçant de manière autonome, par
l'omission de sa subordination à celui du prêtre ; et alors
que le prêtre, consacré comme médiateur, se fait l'inter-
prète de toutes les intentions du peuple dans le Te Igitur
et dans les deux Memento.
Dans la " Prière eucharistique III " (Vere Sanctus, page
123 de l'ORDO MISSAE), on va jusqu'à dire au Seigneur
" Ne cesse pas de rassembler ton peuple POUR QUE (ut)
du lever du soleil à son coucher une oblation pure soit
offerte en ton Nom ". Ce " pour que " (ut) donne à penser
que le peuple, plutôt que le prêtre, est l'élément indispen-
sable à la célébration ; et comme il n'est point précisé, pas
même en cet endroit, qui est l'offrant (*), c'est le peuple lui-
même qui se trouve présenté comme investi d'un pouvoir
sacerdotal autonome.
Dans ces conditions et selon ce système, il ne serait pas
étonnant que bientôt le peuple soit autorisé à se joindre au
prêtre pour prononcer les paroles de la Consécration. En
plusieurs endroits, d'ailleurs, c'est déjà un fait accompli.


2. - SITUATION DU PRETRE DANS LE NOUVEAU RITE.

Le rôle du prêtre est minimisé, altéré, faussé.

PREMIÈREMENT par rapport au peuple. Il en est le " pré-
sident " et le " frère ", mais il n'est plus le ministre consa-
cré célébrant in persona Christi.

SECONDEMENT : par rapport à l'Eglise. Il en est un mem-
bre parmi d'autres, un quidam de populo. Au numéro 55,
dans la définition de l'épiclèse (*), les invocations sont at-
tribuées anonymement à l'Eglise le rôle du prêtre s'éva-
nouit.

TROISIÈMEMENT : dans le Confiteor devenu collectif, le
prêtre n'est donc plus juge, témoin et intercesseur auprès
de Dieu. Il est donc logique que le prêtre n'ait plus à donner
l'absolution, qui a été effectivement supprimée. Le prêtre
est intégré aux " frères " l'enfant de chœur servant la
Messe l'appelle ainsi dans le Confiteor de la " Messe sans
peuple ".

QUATRIÈMEMENT : déjà la distinction entre la commu-
nion du prêtre et celle des fidèles avait été supprimée. Cette
distinction est cependant chargée de signification. Le prêtre
tout au cours de la Messe, agit in persona Christi. En
s' unissant intimement à la victime offerte, d'une manière
qui est propre à l'ordre sacramentel, il exprime l'identité du
Prêtre et de la Victime ; identité qui est propre au Sacri-
fice du Christ, et qui, manifestée sacramentellement, mon-
tre que le Sacrifice de la Croix et le Sacrifice de la Messe est
substantiellement le même.

CINQUIÈMEMENT : plus un seul mot désormais sur le
pouvoir du prêtre comme ministre du Sacrifice, ni sur
l'acte consécratoire qui lui revient en propre, ni sur la réa-
lisation par son intermédiaire de la Présence eucharistique.
On ne laisse plus apparaître ce que le prêtre catholique a
de plus qu'un ministre protestant.

SIXIÈMEMENT : l'usage de nombre d'ornements est aboli
ou rendu facultatif : dans certains cas l'aube et l'étole
suffisent (numéro 298). Ces ornements sont des signes de
la conformation du prêtre au Christ : ils disparaissent. Le
prêtre ne se présente plus comme revêtu de toutes les
vertus du Christ ; il ne sera plus qu'une sorte de gradé
ecclésiastique, à peine distingué de la masse par un ou
deux galons (*). Le prêtre sera en somme, selon la formule
involontairement humoristique d'un prédicateur moder-
ne (*), " un homme un peu plus homme que les autres ".



3. - SITUATION DE L'EGLISE DANS LE NOUVEAU RITE.

C'est-à-dire relation de l'Eglise au Christ.
Dans un seul cas, au numéro 4, on daigne admettre que
la Messe est une " action du Christ et de l'Eglise " : c'est
dans le cas de la Messe " sans peuple ".
En revanche, dans la Messe " avec peuple ", on n'ex-
prime d'autre but que de " faire mémoire du Christ " et
de sanctifier l'assistance. Le numéro 60 déclare : " Le
prêtre célébrant... s'associe le peuple... en offrant le Sa-
crifice à Dieu le Père par le Christ dans le Saint-Esprit. "
Il aurait fallu dire : " associer le peuple au Christ, qui
s'offre Lui-méme à Dieu le Père...

C'est dans ce contexte que s'insèrent
- la très grave omission du per Christum Dominum
nostrum, formule qui signifie et fonde, pour l'Eglise de
tous les temps, l'assurance d'être exaucé (Jean XIV, 13-14
XV, 16 ; XVI, 23-24);
- l'eschatologisme nuageux et maniaque, dans lequel
la communication d'une réalité à ta fois actuelle et éter-
nelle la grâce, est présentée comme le fruit d'un progrès
à venir;
- le peuple de Dieu est " en marche ", l'Eglise n'est
plus l'Eglise militante qui combat contre la puissance des
ténèbres elle est pérégrinante vers un avenir qui n'appa-
raît plus lié à l'éternel (c'est-à-dire aussi à l'au-delà actuel),
mais uniquement temporel.


***


Dans la " Prière eucharistique IV ", la prière du Canon
romain pro omnibus orthodoxis atque catholicae fidei cul-
toribus
est remplacée par une prière pour " tous ceux qui
Te cherchent d'un coeur sincère ".
Pareillement, le Memento des morts ne mentionne plus
ceux qui sont morts cum signo fidei et dormiunt in somno
pacis
(marqués du signe de la foi et qui dorment du som-
meil de la paix), mais simplement " ceux qui sont morts
dans la paix du Christ ". On leur adjoint l'ensemble des
défunts " dont toi seul connais la foi ", ce qui constitue
une nouvelle atteinte à l'unité de l'Eglise considérée en sa
manifestation visible.
Dans aucune des trois nouvelles " prières eucharisti-
ques " ne figure la moindre allusion à l'état de souffrance
des trépassés ; en aucune il n'y a place pour une intention
particulière à leur égard : ce qui, à nouveau, émousse la
foi en la nature propitiatoire et rédemptrice du Sacrifice (*).

Un peu partout, diverses omissions avilissent le mystère
de l'Eglise en le désacralisant. Ce mystère est méconnu
avant tout en tant que hiérarchie sacrée. Les Anges et les
Saints sont réduits à l'anonymat dans la seconde partie du
Confiteor collectif ; ils ont disparu de la première partie (*)
comme témoins et juges en la personne de saint Michel
Archange. Les différentes hiérarchies angéliques disparais-
sent aussi, fait sans précédent, de la nouvelle Préface dans
la " Prière eucharistique II " ; disparaît pareillement, dans
le Communicantes, la mémoire des Saints, Pontifes et
Martyrs sur qui l'Eglise de Rome demeure fondée, et qui
sans aucun doute transmirent les traditions apostoliques et
en firent ce qui devint avec saint Grégoire la Messe romaine.
Supprimée encore, dans le Libera nos, la mention de la
Bienheureuse Vierge Marie, des Apôtres et de tous les
Saints, son intercession et la leur n'est plus demandée,
même au moment du péril.
L'unité de l'Eglise est compromise enfin en ceci : on a
poussé l'audace jusqu'à l'intolérable omission dans tout le
nouvel ORDO MISSAE, y compris dans les trois nouvelles,
" prières eucharistiques ", des noms des Apôtres Pierre
et Paul, fondateurs de l'Eglise de Rome, et des noms des
autres Apôtres, fondement et signe de l'unité et de l'uni-
versalité de l'Eglise. Leurs noms ne figurent plus que dans
le Communicantes du Canon romain.

Le nouvel ORDO MISSAE porte encore atteinte au dogme
de la communion des saints en supprimant, quand le prêtre
célèbre sans servant, toutes les salutations et la bénédic-
tion finale ; et en supprimant l'Ite Missa est dans la Messe
sans peuple avec servant (*).

Le double Confiteor au début de la Messe montre com-
ment le prêtre, revêtu de ses ornements qui le désignent
comme ministre du Christ, et s'inclinant profondément,
se reconnaît indigne d'une Si haute mission, indigne du
tremendum mysterium qu'il se dispose à célébrer. Puis, ne
se reconnaissant (dans l'Aufer a nobis) aucun droit d'en-
trer dans le Saint des Saints, il se recommande (dans l'Ore-
mus te, Domine) à l'intercession et aux mérites des martyrs
dont l'autel renferme les reliques. Ces deux prières et le
double Confiteor sont supprimés

Sont également profanées les conditions qui conviennent
pour célébrer le Sacrifice en tant qu'il est l'accomplisse-
ment d'une réalité sacrée : c'est ainsi que, lorsque la célé-
bration a lieu en dehors d'une église, l'autel peut être
remplacé par une simple table sans pierre consacrée ni
reliques (numéros 260 à 265).

La désacralisation est portée à son comble par les nou-
velles et parfois grotesques modalités de l'offrande. L'insis-
tance est mise sur le pain ordinaire aux lieu et place du
pain azyme. La faculté est donnée aux enfants de chœur, et
aux laïcs lors de la communion sous les deux espèces, de
toucher les vases sacrés (numéro 244). Une invraisemblable
atmosphère se trouvera créée dans l'église : on verra en
effet y alterner sans trêve le prêtre, le diacre, le sous-
diacre, le psalmiste, le commentateur (le prêtre lui-même
est d'ailleurs devenu commentateur, puisqu'il est invité
à " expliquer " continuellement ce qu'il est sur le point
d'accomplir), les lecteurs hommes et femmes, les clercs
ou les laïcs qui accueillent les fidèles à la porte de l'église
et les accompagnent à leur place, qui font la quête, qui
portent les offrandes, qui trient les offrandes... Et au
milieu d'une telle furie de retour à l'Ecriture, voici, au
numéro 70, en opposition formelle à l'Ancien Testament
comme à saint Paul, la présence de la mulier idonea, de la
" femme ad hoc ", qui pour la première fois dans la tradi-
tion de l'Eglise sera autorisée à faire les lectures de l'Ecri-
ture Sainte et à accomplir d'autres " ministères qui sont
remplis par d'autres que les membres du presbyterium ".
Et enfin la manie de la concélébration elle achèvera de
détruire la piété eucharistique du prêtre et d'estomper la
figure centrale du Christ, unique Prêtre et Victime, et de
la dissoudre dans la présence collective des concélébrants.


VI

Nous nous sommes limités ci-dessus à un bref
examen du nouvel ORDO MISSAE et de ses dévia-
tions les plus graves par rapport à la théologie
de la Messe catholique. Les observations que nous
avons faites ont surtout un caractère typique. Il
faudrait un plus vaste travail pour établir une,
évaluation complète des embûches, périls et élé-
ments spirituellement et psychologiquement des-
tructeurs que contient le rite nouveau.


Les nouveaux Canons - dénommés " prières eucharis-
tiques " - ont été déjà critiqués plusieurs fois et avec
autorité. Nous n'y revenons pas. Observons que la seconde
" prière eucharistique " (*) avait immédiatement scanda-
lisé les fidèles par sa brièveté. On a fait remarquer entre
autres choses que cette " Prière eucharistique Il " peut
être employée en toute tranquillité de conscience par un
prêtre qui ne croit plus ni à la transsubstantiation ni au
caractère sacrificiel de la Messe : cette " prière eucharis-
tique ". peut très bien servir pour la célébration d'un mi-
nistre protestant.

Le nouvel ORDO MISSAE fut présenté à Rome comme
un " abondant matériel pastoral ", comme " un texte plus
pastoral que juridique ", auquel les Conférences épisco-
pales pourraient apporter, selon les circonstances, des mo-
difications conformes au génie respectif des différents
peuples.

Du reste, la première section de la nouvelle " Congré-
gation pour le culte divin " sera responsable " de l'édition
et de la constante révision des livres liturgiques ".

A quoi fait écho le bulletin officiel des Instituts litur-
giques d'Allemagne, de Suisse et d'Autriche (*) en écri-
vant " Les textes latins devront à présent être traduits
dans les langues des différents peuples ; le style " romain "
devra être adapté à l'individualité de chaque Eglise locale
ce qui a été conçu sur un mode intemporel devra être
transposé dans le contexte mouvant des situations con-
crètes, dans le flux constant de l'Eglise universelle et de ses
innombrables assemblées. "

La Constitution Missale romanum elle-même, s'oppo-
sant à la volonté expresse de Vatican Il, donne le coup de
grâce au latin comme langue universelle, en affirmant
" Dans une Si grande diversité de langues s'élévera la
même et unique (?) prière de tous... " La mort du latin est
donc donnée comme un fait acquis. Celle du grégorien en
découle inéluctablement : le grégorien que pourtant Vati-
can II avait reconnu comme " le chant propre de la liturgie
romaine " et dont il avait ordonné qu'il garde " la pre-
mière place " (Const. conciliaire sur la liturgie, numéro
116). Le libre choix, entre autres, des textes de l'Introït et
du Graduel achève d'éliminer le chant grégorien.

Le nouveau rite se présente comme pluraliste et expéri-
mental, et comme lié au temps et au lieu. L'unité de culte
étant ainsi définitivement brisée, on ne voit plus en quoi
pourra consister désormais l'unité de la foi qui lui est inti-
mement liée et dont pourtant on continue de parler comme
de la substance qu'il faut défendre sans compromission.
Il est évident que le nouvel ORDO MISSAE renonce en
fait à être l'expression de la doctrine que le Concile de
Trente a définie comme étant de foi divine et catholique.
Et cependant la conscience catholique demeure à jamais
liée à cette doctrine. Il en résulte que la promulgation
du nouvel ORDO MISSAE met chaque catholique dans la
tragique nécessité de choisir.


VII


La Constitution " Missale romanum " parle
explicitement d'une richesse de doctrine et de
piété que le nouvel ORDO MISSAE emprunterait aux
Eglises d'Orient.


Ce prétendu emprunt aura pour résultat effectif d'éloi-
gner les fidèles de rite oriental : car l'inspiration du rite
oriental n'est pas seulement étrangère, elle est tout à fait
opposée à l'esprit du nouvel ORDO MISSAE.

A quoi, en effet, se réduisent ces emprunts qui se
déclarent inspirés par l'œcuménisme ?

En substance, à la multiplicité des anaphores (*), mais
non à leur ordonnance ni à leur beauté; à la présence du
diacre ; à la communion sous les deux espèces.
Mais il semble bien que l'on a voulu éliminer tout ce
qui, dans la liturgie romaine, était le plus proche de la
liturgie orientale (*) ; qu'on a voulu, en reniant l'incom-
parable et immémorial caractère romain de la liturgie,
renoncer à ce qui lui était spirituellement le plus propre
et le plus précieux. On a substitué à la romanité des élé-
ments qui rapprochent le nouvel ORDO MISSAE de certains
rites protestants, et point de ceux qui étaient les plus
proches du catholicisme ces éléments dégradent la litur-
gie romaine et éloigneront de plus en plus l'Orient, comme
on l'a déjà vu avec les réformes liturgiques qui ont immé-
diatement précédé le nouvel ORDO MISSAE.

En revanche, le nouvel ORDO MISSAE aura la faveur des
groupes proches de l'apostasie qui, s'attaquant dans l'Eglise
à l'unité de la doctrine, de la liturgie, de la morale et de
la discipline, y provoquent une crise spirituelle sans pré-
cédent.


VIII


Saint Pie V avait conçu L'édition du Missel
romain comme un instrument d'unité catholique
la Constitution " Missale romanum " elle-même
Le rappelle. En conformité avec Les prescriptions
du Concile de Trente, le Missel romain de saint
Pie V devait empêcher que pût s'introduire dans
le culte divin aucune des subtiles erreurs dont la
foi était menacée par la Réforme protestante.


Les motifs de saint Pie V étaient Si graves que jamais
en aucun autre cas ne parait avoir été plus justifiée la
formule rituelle et en l'occurrence quasi prophétique qui
termine la Bulle de promulgation du Missel romain (Quo
primum, 19 juillet 1570)
" Celui qui oserait porter la main contre cette oeuvre,
qu'il sache encourir la colêre du Dieu Tout-Puissant et des
bienheureux Apôtres Pierre et Paul. "

On a eu l'outrecuidance d'affirmer, en présentant offi-
ciellement le nouvel ORDO MISSAE dans la salle de presse
du Vatican, que les raisons alléguées par le Concile de
Trente ne subsistent plus
Non seulement elles subsistent, mais encore nous n'hé-
sitons pas à affirmer qu'il en existe aujourd'hui d'infini-
ment plus graves. C'est précisément pour faire face aux
insidieuses déviations qui de siècle en siècle menacèrent
la pureté du dépôt reçu (*) que l'Eglise a élaboré autour
de ce dépôt les défenses inspirées de ses définitions dogma-
tiques et de ses décisions doctrinales (*). Ces définitions et
ces décisions eurent leurs répercussions immédiates dans
le culte, qui devint progressivement le monument le plus
complet de la foi de l'Eglise. Vouloir à tout prix remettre
en vigueur le culte antique en refaisant froidement, in
vitro ce qui à l'origine eut la grâce de la spontanéité jail-
lissante, c'est tomber dans cet archéologisme insensé
condamné par Pie XII (*). Car cela équivaut, comme on
l'a malheureusement vu, à dépouiller la liturgie de toutes
les beautés pieusement accumulées pendant des siècles, et
de toutes les défenses théologiques plus que jamais néces-
saires en un moment critique, - peut-être le plus critique
de l'histoire de l'Eglise.
Aujourd'hui, ce n'est plus à l'extérieur, c'est à l'inté-
rieur même de la catholicité que l'existence de divisions
et de schismes est officiellement reconnue (*). L'unité de
l'Eglise n'en est plus à être seulement menacée déjà elle
est tragiquement compromise (*). Les erreurs contre, la
foi ne sont plus seulement insinuées : elles sont imposées
par les aberrations et les abus qui s'introduisent dans la
liturgie (*).

L'abandon d'une tradition liturgique qui fut pendant
quatre siècles le signe et le gage de l'unité de culte, son
remplacement par une autre liturgie qui ne pourra être
qu'une cause de division par les licences innombrables
qu'elle autorise implicitement, par les insinuations qu'elle
favorise et par ses atteintes manifestes à la pureté de la
foi : voilà qui apparaît, pour parler en termes modérés,
comme une incalculable erreur.


Corpus Domini 1969.


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(*) Les notes ne sont pas (encore?) disponibles...
Pour plus d'informations, voir la version anglaise.