LE MODERNISME
I. - Caractéristiques et essai de définition du
modernisme
Le nom de "modernisme" employé depuis longtemps sans
signification bien précise reste désormais attaché
à l'ensemble des erreurs doctrinales condamnées
principalement par deux documents du Pape St Pie X : Le Décret
du St Office "Lamentabili sane exitu" (du 3 juillet 1907) et
l'Encyclique "Pascendi Dominici gregis" (du 7 septembre 1907)
ainsi que la "Lettre au Sillon" du même Pape à
Marc SANGNIER directeur du Sillon (août 1910).
La première mesure prise sous le pontificat de St Pie X avait
été la mise à l'Index dès la fin de 1903,
des ouvrages de l'abbé LOISY, professeur à l'Institut
Catholique, puis de ceux d'autres modernistes français (Houtin,
Laberthonnière, Le Roy).
Ces erreurs en question sont caractérisées dans leur
ensemble par l'engouement de certaines manières dites modernes
de philosopher sur les choses religieuses et par le mépris de la
Tradition catholique. Bien que distinctes les unes des autres, elles
sont solidaires par leur unité d'inspiration et aussi par
l'acharnement d'une certaine presse à les promouvoir. Qu'il
s'agisse alors de philosophie, d'exégèse, d'histoire des
dogmes, d'apologétique, d'orientation politique ou sociale, on
retrouve les mêmes organes empressés à redonner la
même note, à formuler les mêmes revendications avec
l'ambition plus ou moins avouée d'arracher à l'Eglise
enseignante des mises au point déclarées
nécessaires.
Le "modernisme" étant caractérisé par la
subtilité de ses agissements en vue de s'infiltrer
insidieusement dans les esprits et dans les sociétés, il
redoute la définition claire et précise.
Par son étymologie, "modernisme" évoque bien la
tendance à s'inspirer des préoccupations reconnues ou
supposées "actuelles", avec comme inévitable
conséquence, une prédilection pour la nouveauté et
le changement.
"L'idée qu'il faut donc se faire
du "modernisme" est celle d'un
renouvellement doctrinal qui aboutit à saper pratiquement les
fondements objectifs du dogme catholique, sous prétexte de le
moderniser pour l'adapter aux mentalités du jour"
(Mère Marie de St Paul).
D'après ses propres adversaires, comme le Jésuite anglais
Tyrell et le professeur d'histoire Aulard, l'Encyclique Pascendi
reflète avec exactitude les thèses modernistes.
L'Encyclique comprend trois parties :
- exposé et critique des doctrines
modernistes
- causes du modernisme
- remèdes à appliquer
II Analyse de L'Encyclique Pascendi
- Les doctrines modernistes -
NB : toutes les citations sont prises dans l'encyclique
1) Le Philosophe moderniste
Si Saint Pie X commence par la philosophie, c'est que tout dans le
modernisme découle d'une fausse philosophie. Le grand philosophe
Louis JUGNET écrivait en 1964 : "Si le modernisme est bien
une erreur religieuse" et même "la synthèse de
toutes les hérésies" comme le nomme St Pie X dans
Pascendi, sa racine profonde est dans la philosophie, la
"falsa philosophia", "telle est l'origine empoisonnée dont tout
découle".
Le moderniste parle, écrit, agit, conditionné par un a
priori favorable à la philosophie moderne ; on peut englober
toute la philosophie qui sous-tend le modernisme dans l'expression : "un
évolutionnisme radical". L'encyclique Pascendi
précise que les racines de cet évolutionnisme sont
doubles :
- L'agnosticisme : (a : privatif, cognoscere :
connaître) qui nie à la raison la possibilité
d'atteindre l'intelligible au delà des purs
phénomènes. "D'où les modernistes
infèrent deux choses : que Dieu n'est point objet direct de
science, que Dieu n'est point un personnage historique". "Erreurs
monstrueuses, continue St Pie X,. car le Concile Vatican I
a décrété ce qui suit : Si quelqu'un dit que la
lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire
connaître avec certitude, par le moyen des choses
créées le seul et vrai Dieu, notre Créateur et
Maître, qu'il soit anathème. Et enfin, si quelqu'un dit
que la révélation divine ne peut être rendue
croyable par des signes extérieurs, et que ce n'est donc que par
l'expérience individuelle ou par l'inspiration privée que
les hommes sont mus à la foi, qu'il soit anathème".
- L'immanence vitale : (in : dans, manere :
demeurer, rester). L'immanence vitale "fait jaillir la
vérité religieuse des besoins de la vie". La foi
devient alors le résultat d'un désir, d'une
nécessité interne. Elle est issue du subconscient par
désir du divin : elle réside donc en l'homme ; toute
révélation extérieure est abolie.
"Telle est pour les modernistes, la foi, et dans la foi ainsi entendue,
le commencement de toute religion... Dans ce sentiment, ils trouvent
donc la foi mais aussi avec la foi et dans la foi la
révélation ... c'est à dire que Dieu y est dans le
même temps révélateur et
révélé... De là l'équivalence entre
la conscience et la révélation. De là, enfin, la
loi qui érige la conscience religieuse en règle
universelle, entièrement de pair avec la
révélation, et à laquelle tout doit s'assujettir,
jusqu'à l'autorité suprême dans sa triple
manifestation, doctrinale, culturelle, disciplinaire".
St Pie X aborde ensuite quelques conséquences :
- les dogmes demeurent de purs symboles et les formules qui les
signifient sont des "entre-deux" reliant le croyant et sa foi.
- les dogmes sont évolutifs : les dogmes ne sont plus des
vérités intangibles, ils ont à s'adapter aux
croyants dans leurs rapports avec le sentiments religieux, ils peuvent
et doivent évoluer.
Et St Pie X conclut : "Etant donné le caractère si
précaire et si instable des formules dogmatiques, on comprend
à merveille que les modernistes les aient en si mince estime,
s'ils ne les méprisent ouvertement".
2) Le Croyant moderniste
Le philosophe moderniste place la réalité divine dans
l'âme même du croyant. Le croyant cependant a la certitude
au moins formelle que "Dieu existe en soi indépendamment de
lui" mais il fait reposer cette certitude sur "l'expérience
individuelle".
Conséquences :
. Indifférentisme religieux : l'idée
d'expérience religieuse associée à celle du
symbolisme des dogmes amène assez naturellement à
considérer que toutes les religions se valent "Est-ce qu'on
ne rencontre pas dans toutes les religions, des expériences de
ce genre ? Beaucoup le disent. Or, de quel droit les modernistes
dénieraient-ils la vérité aux expériences
religieuses qui se font, par exemple, dans la religion
mahométane ? Et en vertu de quel principe attribueraient-ils aux
seuls catholiques le monopole des expériences vraies ? Ils s'en
gardent bien : les uns d'une façon voilée, les autres
ouvertement, ils tiennent pour vraies toutes les religions".
. Transformation de la Tradition : la Tradition
moderniste est la transmission écrite ou orale de
l'expérience de la foi, au fond de ce qu'éprouvent les
croyants dans leur vie!
. Séparation de la foi et de la science : les
modernistes préconisent une totale séparation des deux
domaines d'où leur duplicité : "A les entendre,
à les lire, on serait tenté de croire qu'ils tombent en
contradiction avec eux-mêmes, qu'ils sont oscillants et
incertains. Loin de là : tout est pesé, tout est voulu
chez eux, mais à la lumière de ce principe que la foi et
la science sont l'une à l'autre étrangères. Telle
page de leur ouvrage pourrait être signée par un
catholique ; tournez la page, vous croyez lire un rationaliste.
Ecrivent-ils histoire ; nulle mention de la divinité de
Jésus-Christ ; montent-ils dans la chaire sacrée, ils la
proclament hautement".
3) Le Théologien moderniste
Il applique à la foi, les deux principes philosophiques de
l'immanence et du symbolisme. Le cardinal Mercier dans sa pastorale de
carême de 1908 résume ainsi le fond du modernisme : "L'âme
religieuse ne tire d'aucune autre source que d'elle-même l'objet
et le motif de sa propre foi".
Au principe d'immanence, il faut rattacher celui de permanence divine "qui
diffère du premier à peu près comme
l'expérience transmise par tradition de la simple
expérience individuelle".
Ainsi, l'Eglise, le dogme, les sacrements, se seraient
développés peu à peu comme la plante à
partir du germe.
Conséquences :
. Le dogme naît d'abord comme la foi du besoin du
croyant de "travailler sur sa pensée religieuse" en vue
d'éclairer de plus en plus non seulement sa propre conscience,
mais aussi celle des autres, il n'a pas un développement
rationnel mais plutôt circonstanciel "vital" disent-ils.
(Le dogme est donc un corps de constructions doctrinales
sanctionnées par le magistère comme répondant
à la conscience commune).
. Le culte naît d'une double nécessité, d'un
double besoin, de donner à la religion un corps sensible et de
la propager. La nécessité et le besoin étant dans
le modernisme "la grande et universelle explication".
Les sacrements, nécessaires, "sont donc de purs signes ou
symboles bien que doués d'efficacité [...] Ils les
comparent, dit St Pie X, à certaines paroles
dont on dit vulgairement qu'elles ont fait fortune...".
. Les livres saints sont pour les modernistes le recueil des
expériences faites dans une religion donnée.
L'inspiration est rabaissée au niveau d'une veine poétique
Quant aux miracles, signes de la crédibilité du Christ,
ils sont éliminés.
. L'Eglise aussi naît d'après les modernistes d'une
double besoin de communiquer des expériences de foi, d'une part,
de s'organiser en société d'autre part. Elle est
également le fruit de la conscience collective.
Quant à l'autorité, elle n'est qu'une émanation
vitale de l'Eglise elle-même.
On voit apparaître la conception démocratique des
modernistes : l'Eglise pour eux doit se plier aux modes et exigences
démocratiques sur le plan disciplinaire comme dogmatique.
. Les rapports Eglise-Etat sont régis par la même
loi que ceux de la foi et de la science : séparation de l'Eglise
et de l'Etat.
Et même, assujettissement de l'Eglise à l'Etat dans les
affaires temporelles:"Celà ils ne le disent pas encore
ouvertement" dit St Pie X, mais tendent à ce que
"l'Eglise en vienne enfin à s'harmoniser avec les formes civiles".
. L'évolution : Le principe fondamental des modernistes
est, comme on l'a déjà vu, "Rester dans l'Eglise et
la faire évoluer... Leur doctrine, comme l'objet de
leurs efforts, c'est qu'il n'y ait rien de stable, rien d'immuable dans
l'Eglise. Ils ont eu des précurseurs, ceux dont PIE IX
écrivait : "ces ennemis de la Révélation
divine exaltent le progrès humain et prétendent, avec une
témérité et une audace vraiment sacrilèges,
l'introduire dans la religion catholique, comme si cette religion
n'était pas l'oeuvre de Dieu, mais l'oeuvre des hommes, une
invention philosophique quelconque, susceptible de perfectionnements
humains".
4) L'Historien moderniste
Trois principes le guident :
Le principe de l'agnosticisme,
Le principe de transfiguration par la foi :la foi
déforme le phénomène historique.
Le principe de défiguration par la foi : la foi
soustrait le phénomène historique à son contexte
de lieu et de temps :
"Ainsi [...] ils dénient au Christ de l'histoire réelle
la divinité, comme à ses actes tout caractère
divin ; quant à l'homme, il n'a fait ni dit que ce qu'ils lui
permettent, eux, en se reportant aux temps où il a vécu,
de faire ou de dire".
5) Le Critique moderniste
Sur les données fournies par l'historien, le critique fait deux
parts dans les documents : Ceux qui répondent à la triple
élimination vont à l'histoire de la foi ou à
l'histoire intérieure ; le résidu reste à
l'histoire réelle "et ce qui est à noter" dit St
Pie X "c'est que l'histoire de la foi, ils l'opposent
à l'histoire réelle, précisément en
tant que réelle : d'où il suit que des deux Christs que
Nous avons mentionnés, l'un est réel : l'autre, celui de
la foi, n'a jamais existé dans la réalité ; l'un a
vécu en un point du temps et de l'espace, l'autre n'a jamais
vécu ailleurs que dans les pieuses méditations du
croyant. Tel, par exemple, le Christ que nous offre l'Evangile de saint
Jean : cet Evangile n'est, d'un bout à l'autre, qu'une pure
contemplation".
6) L'Apologiste moderniste
Pour lui l'apologétique traditionnelle appuyée sur
les Livres Saints, l'histoire de l'Eglise est surannée,
préscientifique, "La nouvelle apologétique doit
s'alimenter aux sources psychologiques et historiques de l'histoire
rationaliste".
L'apologiste veut amener le non-croyant à sa foi par deux
chemins : l'un objectif procède de l'agnosticisme. Il
tend à montrer qu'il y a une vitalité prodigieuse dans le
développement de la religion catholique à partir du germe
initial en Jésus-Christ.
Mais la vitalité même de cette
progression ne peut s'expliquer que par "une inconnue".
L'autre chemin subjectif s'appuie sur
l'immanence pour persuader le non-croyant qu'il y a en lui non
seulement un désir mais l'exigence de la religion catholique. "A
vrai dire, ceux des modernistes qui recourent ainsi à une
exigence de la religion catholique sont les modérés".
Par une évolution cohérente on en
est venu aujourd'hui à déconseiller tout
prosélytisme.
Le Père Cloupet, secrétaire
général de l'Enseignement Catholique, déclare dans
"Enseignement catholique actualité" de Février
1988 que "l'école catholique se veut une force de
proposition et se sent lavée de toute volonté de
prosélytisme". Le Président de l'UNAPEL, M. Cerisola
donne à "La Croix" une interview qui paraît le 6
octobre 1988 avec pour titre "L'école catholique ne doit pas
faire de prosélytisme".
7) Le Réformateur Moderniste
Il est inutile d'insister sur ce point. Comme le dit St Pie X :
"Il n'y a rien, absolument rien, à quoi leur manie
réformatrice ne s'attaque".
Il conclut par cette phrase "Voilà qui suffit et
surabondamment, pour montrer par combien de routes le modernisme
conduit à l'anéantissement de toute religion. Le premier
pas fut fait par le protestantisme, le second est fait par le
modernisme, le prochain précipitera dans l'athéisme".
*
* *
Causes du modernisme:
Les cause sont résumées dans ces deux phrases :
. "La cause prochaine et immédiate réside dans
une perversion de l'esprit, cela ne fait pas de doute : les causes
éloignées nous apparaissent pouvoir se réduire
à deux : la curiosité et l'orgueil".
. "Que si, des causes morales, nous venons aux intellectuelles,
la première qui se présente - et la principale - c'est
l'ignorance. Oui ces modernistes qui jouent aux docteurs de l'Eglise,
qui portent aux nues la philosophie moderne et regardent de si haut la
scolastique, n'ont embrassé celle-là en se laissant
prendre à ses apparences fallacieuses, que parce que ignorants
de celle-ci, il leur a manqué l'instrument nécessaire
pour percer les confusions et dissiper les sophismes".
Remèdes :
St Pie X indique ensuite les remèdes contre le modernisme :
- La philosophie de St Thomas à la base des études
: que tout ce qui avait été édicté à
ce sujet par son prédécesseur Léon XIII reste
pleinement en vigueur dans les séminaires et les Instituts
religieux.
- Exclusion des modernistes "sans merci" de toute
charge de directeur ou professeur. De même ceux qui
favoriseraient ces erreurs de quelque façon que ce soit. "De
même qui, en histoire, en archéologie, en
exégèse biblique trahit l'amour de la nouveauté".
- "Vigilance et sévérité à
l'examen et au choix des candidats aux saints Ordres" chacun devra
avoir suivi le cours régulier de philosophie scolastique.
- "Le devoir aux évêques d'empêcher la
publication des écrits entachés de modernisme". "Faites
tout au monde, dit-il, pour bannir de votre diocèse tout
livre pernicieux". Obligation du "Nihil obstat" et "Imprimatur"
de l'Evêque.
- "Défense aux membres du clergé de prendre la
direction de journaux ou de revues sans la permission des ordinaires".
- "Que désormais les évêques ne
permettent plus ou que très rarement de Congrès
Sacerdotaux. [...] qui sont un champ propice aux modernistes
pour y semer et y faire prévaloir leurs idées".
- Enfin, les évêques devront donner des rapports
périodiques au St Siège sur l'exécution de ces
mesures.
Cependant, St Pie X s'est bien gardé du moindre optimisme. Trois
ans plus tard, il devait combattre le modernisme dans le "Sillon"
puis, la même année, adressait à toute l'Eglise un "motu
proprio" "établissant des lois pour repousser le
péril du modernisme", ensemble de prescriptions
très sévères précisant les mesures
édictées à la fin de l'encyclique Pascendi
auxquelles il ajoutait l'obligation de prêter "le serment
antimoderniste" à tout prêtre, supérieur
religieux, clerc, professeur, dont voici l'essentiel :
"Je tiens en toute certitude et je professe sincèrement que
la foi n'est pas un sens religieux aveugle surgissant des profondeurs
ténébreuses de la "subconscience" moralement
informée sous la pression du coeur et l'impulsion de la
volonté ; mais bien qu'elle est un véritable assentiment
de l'intelligence à la vérité acquise
extrinsèquement par l'enseignement reçu ex auditu,
assentiment par lequel nous croyons vrai, à cause de
l'autorité de Dieu dont la véracité est absolue,
tout ce qui a été dit attesté et
révélé par Dieu personnel, notre Créateur
et notre Maître" .
Presque incidemment, on apprit vers les années 1968-69 que
ce serment ne serait plus obligatoire.
Au début de son motu proprio, St Pie X
n'hésite pas à écrire que, malgré les
claires condamnations, "ils n'ont pas abandonné leurs
desseins de troubler la paix de l'Eglise. Ils n'ont pas cessé,
en effet, de rechercher et de grouper en association secrète
de nouveaux adeptes, et d'inoculer avec eux, dans les veines de la
société chrétienne, le poison de leurs opinions ...
Ces adversaires sont d'autant plus à redouter qu'ils nous
touchent de plus près, ils abusent de leur ministère...".
III.- Le modernisme social
Le SILLON
St Pie X commence par faire un rapprochement entre "les doctrines
des prétendus philosophes du 18ème siècle, celles
de la Révolution et du libéralisme tant de fois
condamnées" et les théories du Sillon "telles (qu'elles)
sont encore aujourd'hui sous leurs apparences brillantes et
généreuses".
Il dit combien il aime cette vaillante jeunesse et ses chefs aux
âmes élevées mais qu'il s'est aperçu depuis
longtemps que le Sillon s'égarait et qu'il se décide
à parler publiquement, les évêques français
lui ayant fait appel. Il s'aperçoit que ses fondateurs jeunes et
enthousiastes n'étaient pas suffisamment armés de "saine
philosophie et de forte théologie pour affronter les difficiles
problèmes sociaux vers lesquels ils étaient
entraînés par leur activité et leur coeur et pour
se prémunir, sur le terrain de la doctrine et de
l'obéissance, contre les infiltrations libérales et
protestantes".
"Les chefs du Sillon, en effet, allèguent qu'ils
évoluent sur un terrain qui n'est pas celui de l'Eglise ; qu'ils
ne poursuivent que des intérêts de l'ordre temporel et non
de l'ordre spirituel ; que le Silloniste est tout simplement un
catholique voué à la cause des classes laborieuses, aux
oeuvres démocratiques..." et ne relève donc pas de
l'autorité ecclésiastique.
"La réponse à ces subterfuges, dit St Pie X,
n'est que trop facile. A qui fera-t-on croire, en effet, que les
Sillonistes catholiques, que les prêtres et les
séminaristes enrôlés dans leurs rangs n'ont en vue,
dans leur activité sociale, que les intérêts
temporels des classes ouvrières ? Ce serait pensons-nous, leur
faire injure que de le soutenir". Puis, il poursuit en exposant
l'objectif des sillonistes qui est de reconstruire la
société sur un plan nouveau et "pour justifier leurs
rêves sociaux, ils en appellent à l'Evangile
interprété à leur manière et, ce qui est
plus grave encore, à un Christ défiguré et
diminué".
Le Pape rappelle ensuite les principes constants de la doctrine
catholique en matière sociale et cite Léon XIII qui
enseigne que la démocratie chrétienne doit maintenir la
"diversité des classes" et garder la société
humaine dans la "formule et le caractère que Dieu son auteur
lui a imprimés".
On peut remarquer en particulier ce très beau passage : "Non,
Vénérables Frères, - il faut les rappeler
énergiquement dans ces temps d'anarchie sociale et
intellectuelle où chacun se pose en docteur et en
législateur, - on ne bâtira pas la cité autrement
que Dieu ne l'a bâtie ; on n'édifiera pas la
société, si l'Eglise n'en jette les bases et ne dirige
les travaux ; non, la civilisation n'est plus à inventer, ni la
cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a
été, elle est ; c'est la civilisation chrétienne,
c'est la cité catholique. Il ne s'agit que de l'instaurer et de
la restaurer sans cesse sur ces fondements naturels et divins, contre
les attaques toujours renaissantes de l'utopie malsaine, de la
révolte et de l'impiété : Omnia instaurare in
Christo".
Il reproche ensuite au Sillon de vouloir placer l'autorité dans
le peuple, de prendre comme idéal le nivellement des classes, et
d'avoir une conception utopique et fausse de la dignité humaine
qu'il faut étendre au monde entier par "la
célèbre trilogie : Liberté, égalité,
fraternité".
"Sans doute le Sillon fait descendre de Dieu cette
autorité qu'il place d'abord dans le peuple mais de telle sorte
qu'elle remonte d'en bas pour aller en haut, tandis que dans
l'organisation de l'Eglise, le pouvoir descend d'en haut pour aller en
bas".
Et St Pie X pose la question : "Est-ce que les saints qui ont
porté la dignité humaine à son apogée
avaient cette dignité là". "Et les humbles de la
terre, qui ne peuvent monter si haut, et qui se contentent de tracer
modestement leur sillon au rang que la Providence leur a
assigné, en remplissant énergiquement leurs devoirs dans
l'humilité, l'obéissance et la patience chrétienne
ne seraient-ils pas dignes du nom d'hommes, eux que le Seigneur tirera
un jour de leur condition obscure pour les placer au ciel parmi les
princes de son peuple ?".
Ensuite, il parle du danger à "inféoder par principe,
le catholicisme à une forme de gouvernement". Puis de
l'évolution du sillon qui proclamait d'abord que "la
démocratie serait catholique ou qu'elle ne serait pas" et
bientôt à cette formule en substitua une autre :"La
démocratie ne sera pas anti-catholique, pas plus d'ailleurs
qu'anti-juive ou anti-boudhiste. Ce fut l'époque du plus
grand Sillon" qui deviendra une religion : " car le
Sillonisme, les chefs l'ont dit, est une religion plus universelle que
l'Eglise catholique, réunissant tous les hommes devenus enfin
frères et camarades dans "le règne de Dieu" . - "On
ne travaille pas pour l'Eglise, on travaille pour l'humanité".
Le Pape indique enfin aux évêques la façon dont ils
doivent prendre part activement à l'organisation de la
Société "que vos prêtres soient
persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont
pas nées d'hier : que, de tous temps, l'Eglise et l'Etat,
heureusement concertés, ont suscité dans ce but des
organisations fécondes : que l'Eglise, qui n'a jamais trahi le
bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n'a pas à
se dégager du passé et qu'il lui suffit de reprendre,
avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les
organismes brisés par la Révolution et de les adapter,
dans le même esprit chrétien qui les a inspiré, au
nouveau milieu créé par l'évolution contemporaine
: car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni
novateurs, mais traditionalistes".
Il demande ensuite aux sillonistes de prendre le nom de "Sillons
Catholiques".
IV.- Extension du modernisme jusqu'à l'époque
contemporaine
Jean Madiran cite dans "L'hérésie du XXè
siècle", un passage de l'allocution de St Pie X aux nouveaux
cardinaux en 1914, dernier discours prononcé en public :
"Nous sommes en un temps où l'on accueille et adopte avec grande
facilité certaines idées de conciliation de la foi avec l'esprit
moderne, idées qui conduisent beaucoup plus loin
qu'on ne pense, non pas seulement à l'affaiblissement mais
à la perte totale de la foi (...)".
Néanmoins, au moment de la mort de St Pie
X en 1914, ces diverses mesures avaient commencé à porter
leurs fruits. Le réseau moderniste a été
sérieusement et efficacement combattu par les autorités
romaines et de nombreux évêques. Mais il se comporta comme
un courant souterrain qui reparut en force dans les années 1940.
C'est pourquoi, Pie XII publiait en 1950 l'Encyclique "Humani
Generis" dans laquelle étaient à nouveau
condamnées les principales erreurs modernistes.
Dans le domaine de l'enseignement, auquel St Pie
X attachait une importance primordiale, le mal restait limité au
début du siècle, mais il avait pressenti que les
démolisseurs de l'Eglise ne désarmeraient pas : "Que
ne mettent-ils pas en oeuvre pour se créer de nouveaux partisans
! Ils s'emparent de chaires dans les Séminaires, dans les
Universités et les transforment en chaires de pestilence.
Déguisées peut-être, ils sèment leurs
doctrines de la chaire sacrée ; ils les professent ouvertement
dans les Congrès ; ils les font pénétrer et les
mettent en vogue dans les institutions sociales. Sous leur propre nom,
sous des pseudonymes, ils publient livres, journaux, revues. Le
même multipliera ses pseudonymes; pour mieux tromper, par la
multitude simulée des auteurs, le lecteur imprudent. En un mot,
action, discours, écrits, il n'est rien qu'ils ne mettent en
jeu, et véritablement vous les diriez saisis d'une sorte de
frénésie".
Cependant, une foule d'excellents maîtres
cotoyaient les modernistes ou modernisants. Certains de ceux-ci
conservèrent, même à cette époque, leur
chaire après la parution de l'Encyclique Pascendi et d'autres,
condamnés et destitués, furent
récupérés par l'Instruction publique.
L'Abbé LOISY, un des principaux promoteurs du modernisme en
France, excommunié en 1908, devint professeur d'Histoire des
religions au Collège de France.
Aujourd'hui le modernisme imprègne l'Eglise à ce point
qu'on n'en finirait pas de citer les noms et les titres des professeurs
de tous niveaux qui diffusent des thèses modernistes
à longueur d'année même après les
admonestations ou les sanctions romaines.
Quelques exemples célèbres :
Hans Küng, qui s'est vu retirer son
autorisation d'enseigner en 1979 est maintenant directeur de l'Institut
de rechercher Oecuménique de l'Université de
Tübingen et a fait publier un livre en 1989 chez Bayard Presse
sans la moindre réserve.
Aux Etats-Unis, le père Curran, professeur
de théologie morale à "l'Université Catholique
d'Amérique" et dont l'enseignement relativiste aboutissait
à admettre "dans certains cas" la contraception,
l'avortement, l'euthanasie, dut quitter son poste en 1986. Il
enseignait de nouveau en 1988 à la même université.
Le père Leonardo Boff, grand propagandiste
de la théologie de la libération, est professeur de
théologie au Brésil : un an de silence lui est
imposé en mai 1985, sanction suspendue le 29 mars 1986 (ces
exemples sont pris dans le "Modernisme hier et aujourd'hui" de
F. Desjars).
Et pourtant Jean-Paul II est bien conscient de ce qui se passe
actuellement, il disait en 1981 "...des idées contredisant
la vérité révélée et
enseignées depuis toujours ont été
répandues à pleines mains ; de véritables
hérésies ont été propagées dans le
domaine dogmatique et moral créant des doutes, des confusions,
des rébellions ; même la liturgie a été
manipulée ; plongés dans le "relativisme"
intellectuel et moral et jusque dans le "permissivisme"
où tout est permis, les chrétiens sont tentés par
l'athéisme, par l'agnosticisme, par l'illuminisme vaguement
moraliste, par un christianisme sociologique sans dogmes définis
et sans morale objective".
*
* *
Comme le dit Romano Amerio dans "Iota Unum" :
"Toute philosophie contient virtuellement une théologie", d'où
l'importance de cette base philosophique. Louis Jugnet, dont
Marcel de Corte dit "qu'il avait délibérément
sacrifié sa belle carrière d'écrivain-philosophe
à laquelle il était promis, à l'enseignement de la
vérité et à la préservation des jeunes
intelligences, des corruptions du siècle", résume en
quelques phrases très claires la perversion de la philosophie
qui a entraîné tant de théologiens dans l'erreur :
"L'esprit humain ne crée pas la
vérité, il doit s'attacher à la découvrir,
dans tous les domaines. Le réel est ce qu'il est,
indépendamment de nos désirs, de nos caprices ou des modes.
Or, on doit constater que cette humble notion fondamentale devient de
plus en plus méconnue de nos jours. Le vrai, pour l'homme
moderne, c'est le plus souvent ce qui paraît, ce qui semble
tel, à l'individu ou au groupe social, rien de plus. Quant au
réel, on ne peut pas vraiment le connaître et surtout pas
dans ses racines profondes (problèmes philosophiques). En fait
de progrès intellectuel, c'en est un beau, car cette
manière de voir nous ramène à celle des Sophistes,
tels PROTAGORAS et CRATYLE, déjà critiqués de
façon très efficace et lucide par PLATON et ARISTOTE!".
"Presque tout le monde, actuellement, est persuadé, comme d'une
chose allant de soi, que la vérité change, que
la vérité évolue constamment,
etc... qu'elle dépend du temps, du lieu, de la
société, de la structure de notre corps, des
institutions, ce qui l'empêche à jamais d'être définitive
ou stable. Cette idée se retrouve dans les doctrines
les plus diverses (chez HEGEL, MARX, Edouard LE ROY, TEILHARD DE
CHARDIN, SARTRE, etc.). On pourrait amonceler les citations sans effort".
Il convient de s'arrêter un peu sur TEILHARD de CHARDIN car il a
eu une influence énorme dans les milieux intellectuels (ou qui
se disaient tels), et de citer quelques passages de Louis Jugnet
à son sujet :
"Le Teilhardisme est, en un sens, un phénomène unique
dans l'histoire des idées contemporaines : non certes à
cause de sa valeur, dont nous reparlerons, mais parce qu'il a
bénéficié et bénéficie encore de
moyens publicitaires colossaux et de l'action fanatique de puissants
groupes de pression, implantés dans les milieux les plus divers,
de l'épiscopat aux maisons d'édition. Il est vrai que,
ces dernières années, la marée descend : le grand
public a vu son attention captée par d'autres idées, tel
le structuralisme, et les milieux catholiques sont en proie à
l'influence d'idéologues de la "démythologisation"
et de la "mort de Dieu" qui considèrent
TEILHARD comme tout à fait timide et "dépassé"
de telle sorte que le nom de Teilhard ne "parle" plus aux
jeunes comme autour de 1960...".
(L.Jugnet ajoute en note "D'abord diffusée quasi
clandestinement sous forme de ronéo, l'oeuvre du Père
s'est vue ensuite imprimée à gros tirage (plusieurs
centaines de milliers !), analysée dans toutes les grandes
collections, traduite dans toutes les langues, enregistrée sur
disques, louée constamment par l'O.R.T.F. et la grande presse,
etc. Pendant ce temps, "on" s'attachait à paralyser ou
à réduire au silence les opposants, qu'ils soient
ecclésiastiques ou laïcs").
Il reprend un peu plus loin :
"Sa formation philosophique semble avoir été, disons
rapide, et assez superficielle : il commet d'énormes erreurs
d'interprétation au sujet des grands philosophes. Sa formation
théologique a glissé sur lui (nous y reviendrons dans la
discussion). Il a subi très fortement l'influence d'un disciple
de BERGSON, Edouard LE ROY qui poussait le bergsonisme dans le sens de
l'idéalisme et qui fut un des principaux auteurs visés
dans la condamnation du "modernisme" par Saint Pie X ; c'est au point
que des expressions teilhardiennes connues se trouvaient
déjà chez E. LE ROY (notamment Biosphère et
Noosphère)". Pour lui "Dieu n'est pas, comme l'ont cru
la Bible et l'Eglise, un absolu parfait et éternel qui est avant
toutes choses, il est au terme de l'Evolution, il devient au coeur
même de "l'esprit-matière"". "Malgré ses
défenseurs, sa mentalité profonde est manifestement
d'orientation panthéiste,
c'est-à-dire tend à identifier Dieu, la Nature et l'Homme".
Teilhard explique dans une lettre pourquoi il tient absolument à
rester au sein de l'Eglise, comme tout bon moderniste : "Je ne vois
toujours pas de meilleur moyen pour moi de promouvoir ce que
j'anticipe, que de travailler à la réforme du dedans"
c'est à dire "à la religion de demain...Je
considère que la Réforme en question (beaucoup plus
profonde que celle du XVI è siècle) n'est plus une simple
affaire d'institutions et de moeurs mais de foi".
Hans Küng pensait de même :"Nous qui restons dans
l'Eglise, nous avons pour le faire de très bons motifs [...]
il s'agira non pas d'interpréter la réalité de
l'Eglise, mais de la changer".
Le père Winoc de Broucker en 1973, dans un entretien avec des
jeunes de la J.E.C., expliquait qu'il y a l'"Ancienne Eglise"
à quitter à la "Nouvelle Eglise" à
rejoindre ou, même si elle n'a pas beaucoup changé,
dit-il, j'y entre pour être du dedans un élément de
subversion".
Ces courants modernistes constituent une gigantesque
société de pensée, très bien
analysée par F. Desjars, qui manipule l'opinion et qui est
elle-même manipulée par son "cercle intérieur",
son noyau dirigeant. C'est ainsi qu'a fonctionné le mouvement du
"renouveau catéchétique" mis en place par le
Chanoine Colomb qui, condamné par Rome en 1957, a
été reconnu officiellement en 1964.
Il faut préciser en plus que la "société
secrète", dénoncée par St Pie X toujours aussi
imprégnée des erreurs modernistes, a été
largement pénétrée et utilisée à
leur profit par des puissances anti-catholiques extérieures
à l'Eglise, comme la Franc-Maçonnerie ou le communisme.
Comme disait le Cardinal Saliège en 1953 : "Il y a les "meneurs"
qui savent; il y a les "suiveurs" qui sont inconscients et qui
marchent".
*
* *
C'est dans cette atmosphère que s'est ouvert le Concile. Pie XII
avait réfléchi à l'opportunité d'une
reprise du Concile du Vatican, interrompu en 1870 ,ou d'un nouveau
Concile, il fit examiner la question par une Commission qui conclut par
la négative "Peut-être pressentit-on le souffle
démocratique qui aurait enveloppé l'assemblée et
eut-on l'intuition de son incompatibilité avec le principe
catholique" dit Romano Amerio dans son livre "Iota Unum".
Docteur en philosophie, il fut étroitement associé par
son évêque à l'étude des travaux de la
commission préparatoire du Concile et connut tous les documents.
L'annonce de la convocation du Concile surprit l'opinion publique qui
ne s'y attendait pas car elle était due, d'après Jean
XXIII lui-même, à une inspiration subite. Un optimisme
général s'ensuivit, dont la cause principal était "l'élévation
de la technique au rang de force civilisatrice et moralement
perfectionnante de l'homme, engendrant l'idée de progrès
du monde et en même temps un grand souffle d'optimisme, qui
devait en effet présider ensuite à toute la perspective
de l'assemblée plénière et obscurcir la vision de
l'état réel du catholicisme".
"Vatican II a eu un aboutissement tout différent de ce
à quoi préludait la préparation du Concile et
même, comme on le verra, les travaux préparatoires furent
subitement et entièrement mis de côté. L'issue
paradoxale du Concile, la rupture de la légalité
conciliaire et la mise de côté du Concile
préparé sont passées sous silence par ceux qui
reprennent la suite de la grande assemblée. Voir par exemple la
synthèse du Concile que fait Mgr Poupard, pro président
du secrétariat pour les non croyants dans "Esprit et Vie" 1983".
"Cet aboutissement paradoxal du Concile au regard de sa
préparation découle de 3 faits principaux :
- la fausseté des prévisions faites par le pape et
par ceux qui ont préparé le Concile
- l'inefficacité du 1er Synode romain convoqué par
Jean XXIII comme prélude du Concile
- la réduction à néant, presque
immédiate, de la Constitution "Veterum sapienta" qui
préfigurait ce qui devait être la physionomie culturelle
de l'Eglise du Concile".
"Dans tous les ordres de la vie de l'Eglise, le Synode proposait en
effet une vigoureuse restauration. La discipline du
clergé était modelée sur l'empreinte
traditionnelle mûrie au concile de Trente et fondée sur
deux principes toujours professés et toujours
appliqués. Le premier est celui du caractère
particulier de la personne consacrée et habilitée
surnaturellement à accomplir l'oeuvre du Christ, et donc
nettement séparée des laïcs (sacré
équivaut à séparé). Le second
principe, qui découle du premier, est celui de
l'éducation ascétique et de la vie sacrifiée qui
différencie le clergé en tant que groupe - encore que
dans le laïcat on puisse mener individuellement une vie
ascétique. Le Synode prescrivait donc aux clercs tout un style
de conduite nettement différencié de la manière
laïque. Semblable style exige l'habit ecclésiastique, la
sobriété dans l'alimentation, l'abstention des spectacles
publics, la fuite des choses profanes.
"L'originalité de la formation culturelle du clergé y
était pareillement réaffirmée et l'on en
esquissait le système que le pape sanctionna solennellement
l'année suivante dans la Constitution Veterum sapientia. Le
Pape ordonna aussi de publier à nouveau le Catéchisme
du Concile de TRENTE, mais cet ordre ne fut pas suivi.
Ce n'est qu'en 1981 qu'il en fut fait une traduction en Italie, due
à une initiative privée (Observatore Romano, 5-6 juillet
1982).
Non moins significative est la législation liturgique du Synode.
Elle confirme solennellement l'usage du latin, condamne toute
créativité du célébrant qui ferait
déchoir l'acte liturgique, acte d'Eglise, au rang d'un simple
exercice de piété privée. On insiste sur
l'obligation de baptiser les nouveau-nés le plus vite possible,
"quamprimum". On prescrit pour le tabernacle la forme et l'emplacement
traditionnels. On recommande le chant grégorien. On soumet
à l'approbation de l'Ordinaire les chants populaires de nouvelle
invention. On écarte des églises tout ce qui est profane,
interdisant de façon générale d'y donner des
spectacles ou des concerts, d'y vendre des imprimés ou des
images, d'y laisser prendre des photographies, d'y laisser allumer des
cierges par les fidèles : il faudra en confier le soin aux
prêtres. La rigueur ancienne du sacré est rétablie
aussi dans les endroits consacrés par l'interdiction faite aux
femmes de pénétrer dans le choeur des prêtres.
Enfin les autels faisant face au peuple ne sont autorisés
qu'à titre d'exception qu'il revient à
l'évêque diocésain d'accorder.
Il n'est personne qui ne voie qu'une telle
réintégration massive de la discipline voulue par le
Synode fut contredite et démentie par le Concile presque en
chaque article. De la sorte, le Synode romain qui aurait dû
être la préfiguration et la norme du Concile,
dégringola en quelques années dans l'Erèbe de
l'oubli : c'est vraiment "tanquam non fuerit", comme s'il n'eût
jamais existé. Pour donner un échantillon de cet
anéantissement, je ferai remarquer qu'ayant cherché dans
des Curies et des archives diocésaines les textes du Synode
romain, je ne les y ai point trouvés, et ai dû les
emprunter à des bibliothèques publiques civiles".
"Ici, nous voulons seulement montrer la différence que nous
sommes en train d'étudier entre l'inspiration
préparatoire donnée au Concile et son résultat
effectif. Par la constitution "Veterum sapientia", Jean XXIII
entendait opérer un repli de l'Eglise sur ses principes
originels, ce repli étant, à son idée, la
condition requise pour permettre à l'Eglise de se renouveler
dans sa nature propre pour le temps présent.
Le pape attribuait à ce document une importance très
spéciale. Il le promulgua à Saint-Pierre, en
présence des cardinaux et de tout le clergé romain, solennité
qui n'a pas eu sa pareille dans l'histoire de ce siècle.
L'importance éminente de "Veterum sapientia" n'est pas
annulée par l'oubli où on la fit tomber aussitôt
(les valeurs ne sont pas telles pour avoir été
acceptées) ni pour son insuccès historique. Son
importance tient à sa parfaite conformité à
l'individualité historique de l'Eglise".
"La partie pratique de la Constitution "Veterum sapientia", son
dispositif, est d'une fermeté correspondant à la
clarté cristalline de la doctrine. Les points décisifs
sont justement ceux qui en déterminèrent l'annulation
quand, par la suite, le pape renonça à y insister. Elle
statuait, en effet [...] que par conséquent on
réétoffât l'étude des disciplines
traditionnelles, principalement le latin et le grec, et qu'à
cette fin on supprimât ou raccourcît les
éléments du programme des laïcs qui s'étaient
introduits ou amplifiés par tendance à assimiler les deux
programmes ; elle prescrivait que dans les séminaires les
matières principales comme dogme et morale fussent
enseignées en latin à l'aide de manuels pareillement
latins ; et que ceux des enseignants qui s'en montreraient incapables
ou peu disposés à le faire fussent écartés
sans perdre de temps. Pour couronner cette Constitution apostolique
destinée à produire une réintégration
générale du latin dans l'Eglise, le pape
décrétait la création d'un institut
supérieur de latinité, qui aurait dû former des
latinistes pour l'univers catholique et prendre en charge un lexique du
latin moderne".
"La réforme des études ecclésiastiques, tout au
contraire, se heurta à des oppositions de divers
côtés, surtout du côté allemand,
attaquée par un livre de Winninger préfacé par
l'évêque de Strasbourg ; aussi fut-elle
annihilée en un rien de temps. Le pape, qui avait d'abord
insisté, donna ordre de ne pas en exiger l'exécution.
Ceux que leur charge obligeait à la rendre efficace suivirent la
faiblesse du pape ; et la Constitution apostolique "Veterum
sapientia", dont on avait si hautement exalté
l'opportunité et l'utilité, fut complètement
effacée et n'est citée en aucun document conciliaire.
Dans certaines biographies de Jean XXIII, on n'en parle pas du tout,
comme si elle n'avait pas existé, tandis que les plus
effrontés ne la mentionnent que comme ayant été
une erreur. Il n'y a pas d'autre exemple dans toute l'histoire de
l'Eglise d'un document aussi solennisé et aussitôt
jeté aux Gémonies".
F. Desjars résume ensuite les évènements, toujours
d'après R. Amerio :
"Dès la première congrégation, le 13 octobre
1962 se produisit un premier incident. Les pères devaient ce
jour-là élire les deux tiers des membres des dix
commissions conciliaires, chargées de l'examen des
schémas préparatoires. Le secrétariat du concile
avait fait distribuer la liste des membres des commissions
pré-conciliaires, sans qu'il y ait aucune obligation, pour les
pères, d'y prendre leurs candidats. Mais cette mesure,
traditionnelle et de bon sens, apparut à certains comme une
tentative de contrainte ; l'un des présidents, le cardinal
Liénart, bien que non autorisé à le faire, prit la
parole à l'ouverture de la congrégation pour se faire
leur porte-parole et réclamer quelque délai d'information
et consultation préalable. Le vote fut ajourné. Il fut
repris le 16 octobre. Entre temps une "alliance"
d'épiscopats européens présentait une liste de 109
candidats, de tendance libérale, dont 79 furent élus ;
ils représentaient la moitié des membres électifs
des commissions conciliaires.
"Après cette élection, écrit Ralph Wiltgen,
il n'était guère difficile de voir quel était le
groupe assez organisé pour prendre la direction des
opérations".
(Le père Ralph Wiltgen, observateur et directeur d'une agence de
presse au Concile, explique en détail cette prise de pouvoir des
modernistes dans "le Rhin se jette dans le Tibre". On ne peut
mettre en doute son objectivité, étant lui-même de
tendance moderniste).
"Puis le mois suivant la discussion du schéma les "Sources de
la Révélation" donna lieu à de vives oppositions
entre les tenants de la stricte orthodoxie et les artisans d'une
réaffirmation de la doctrine en termes moins déplaisants
pour les "frères séparés".
"Devait -on arrêter les discussions et remanier le schéma
? Soumise au vote, la suggestion ne put recueillir la majorité
des deux tiers, nécessaire à son approbation
d'après le règlement du concile. Mais, le lendemain, 21
novembre 1962, le pape, cédant à certaines pressions,
décidait de passer outre au règlement et de faire
refondre le schéma sur la Révélation. Le principe
de la majorité simple était reconnu de facto.
"Entre temps le courant modernisant du concile était parvenu
à faire approuver le 20 octobre par l'assemblée un
message à l'humanité d'inspiration "anthropocentrique et
mondaine" impliquant une "critique sévère du contenu et
de l'esprit du travail de la Commission officielle préparatoire".
R. Amerio termine ainsi cette analyse :
"Tout le travail de préparation fait pendant trois ans
sous la présidence de Jean XXIII, fut donc rejeté, la
volonté modernisante prédominant dans l'assemblée
œcuménique [...] le Concile devenait dans une certaine mesure
"autogène", atypique et improvisé".
*
* *
En conclusion, on peut revenir à l'origine
du modernisme qui remonte aux principes de 89. "Cette
déclaration des droits de l'homme qu'on aurait dû nommer
la suppression des droits de Dieu" disait Mgr de Ségur.
S'adressant aux jeunes, il écrivait en 1861:
"Tout le monde parle aujourd'hui des "principes de
89" et presque personne ne sait ce que c'est. Ce n'est pas
étonnant; les paroles qui les ont formulés sont tellement
élastiques, tellement peu définies que chacun y voit ce
qu'il veut. Les honnêtes gens myopes n'y trouvent rien de
précisément mauvais ; les démagogues y trouvent
cependant leur compte. Il y a pour ces principes une étrange
émulation de tendresse [...] Des catholiques, dans la
louable intention de concilier à l'Eglise les sympathies des
sociétés modernes, ont cherché à
démontrer, non sans peine, que les principes de cette
célèbre déclaration n'étaient
opposés ni à la foi ni aux droits de l'Eglise".
Comme certains l'ont fait, on peut établir un parallèle
entre le slogan "liberté, égalité,
fraternité" et les trois points qui ont été le
plus discutés au Concile et qui ont bouleversé l'Eglise :
liberté religieuse, collégialité, oecuménisme.
C'est ainsi que le modernisme a tordu la philosophie et la doctrine
religieuse pour les adapter au libéralisme.
*
* *
Dom Guéranger dans "l'Année Liturgique" encourage
indirectement à la résistance en prenant un exemple qui
montre que les modernistes ne sont pas si modernes : en 428
l'évêque Nestorius prétendit en chaire que le fils
de Marie n'était "qu'un homme, instrument de la
divinité", ce fut le simple laïc Eusèbe qui se
leva au milieu de l'assemblée pour protester contre le
blasphème.
Dom Guéranger explique :
"Régulièrement la doctrine descend des
évêques au peuple fidèle, et les sujets, dans
l'ordre de la foi, n'ont point à juger leurs chefs. Mais il est
dans le trésor de la Révélation des points
essentiels dont tout chrétien, par le fait même de son
titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la
garde obligée.
"Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur seul
baptême, en de telles conjonctures, l'inspiration de leur ligne
de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte
spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent
pour courir à l'ennemi, ou s'opposer à ses entreprises,
un programme qui n'est point nécessaire et qu'on ne doit point
leur donner".
*
* *
Il est un fait qui démontre à quel point le modernisme
est vivace et imprègne toujours les idées actuellement :
dans le nouveau catéchisme qu'on présente souvent comme
un retour à la tradition, St Pie X est totalement absent.
Parmi les nombreux textes pontificaux cités, on ne trouve aucune
référence à l'encyclique Pascendi.