PLAIDOIRIE POUR LA VIE
Le débat qui
s'instaure pour la première fois aujourd'hui devant vous
est fondamental : il met en évidence l'incompatibilité
insurmontable de la loi Veil du 17 janvier 1975 et, partant, de
l'article L. 162-15 du C.S.P., avec les conventions internationales.
Elle est la seule raison pour laquelle nous sommes venus plaider devant
vous.
(........................)
Venons-en maintenant
à l'essentiel du débat, c'est-à-dire au
délit d'entrave à l'I.V.G., et au moyen principal
soulevé dans des termes identiques à l'appui des trois
pourvois, à savoir l'incompatibilité de la loi du 17
janvier 1975 dépénalisant l'avortement et donc de
l'article L. 162-15 du C.S.P. avec les conventions internationales qui
consacrent le droit à la vie et le droit au respect de la vie
familiale.
Le droit à la
vie est inscrit à l'article 2 de la C.E.D.H. : "Le droit de
toute personne à la vie est protégé par la loi".
Il est également inscrit à l'article 6 du Pacte
international sur les droits civils et politiques : "Le droit
à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce
droit doit être protégé par la loi".
Alors se pose la
grande question qui domine tout le débat.
Ce droit
inhérent à la vie peut-il être invoqué en
faveur de l'enfant conçu non encore né ? En d'autres
termes, cet enfant conçu est-il une personne humaine entrant
dans les prévisions des dispositions des conventions
internationales que nous venons de rappeler ?
Vous devez
répondre solennellement aujourd'hui à cette question
fondamentale.
* *
*
On a toujours su,
parce que c'est dans la nature des choses, mais maintenant on le
démontre scientifiquement, que toute vie commence dès
l'instant de la fécondation. Cette certitude n'est ni une
hypothèse de théoricien ni une opinion de
théologien, c'est une constatation expérimentale.
Dès que les 23
chromosomes paternels rencontrent les 23 chromosomes maternels, se
trouvent rassemblée toute l'information génétique
nécessaire et suffisante pour spécifier chacune des
qualités innées du nouvel individu. L'information ainsi
contenue dans ces 46 chromosomes est déchiffrée par le
cytoplasme de l'oeuf fécondé et le nouvel être
commence à s'exprimer. Pendant 9 mois, il va se
développer dans le sein de sa mère.
La nature de cet
être commençant ne fait, non plus, aucun doute : il
est un être humain, un membre à part entière de
l'espèce humaine. Que pourrait-il être d'autre ?
C'est ce qu'a
rappelé avec force le Conseil de l'Ordre des Médecins
dans un rapport sur la procréation médicalement
assistée adopté à l'unanimité au mois de
juillet 1994.
Il a affirmé que
l'embryon devait (je cite) "être considéré
dès sa conception comme un être de nature humaine". Et
il a précisé que "les fondements du statut de
l'embryon" reposaient sur quatre séries de preuves :
1°- Preuves biologiques, d'abord : (je cite) "Il y a
une continuité parfaite de l'individu de sa conception
jusqu'à sa mort, en passant par différents stades qui
changent l'aspect morphologique de l'être mais pas sa nature
profonde".
2°- Preuves psychologiques, ensuite : "il est possible (dit
le rapport) d'apprécier l'humanité du foetus de plus
en plus précocement par l'étude des échanges
foeto-maternels et de son éveil sensoriel".
3°- Preuves juridiques, aussi : le rapport invoque
l'article 1er de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'I.V.G.
et la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
4°- Preuves éthiques, enfin (je cite encore le
rapport) : "l'embryon représente une unité physique
et spirituelle individualisée, faisant partie de notre
humanité".
* *
*
Ce qui est clair pour
la science médicale l'est aussi pour la tradition juridique et,
plus particulièrement, pour le droit français.
Notre droit a toujours
fait la plus large application du principe hérité du
droit romain, selon lequel "l'enfant conçu est
réputé né chaque fois que tel est son
intérêt". Notre droit a donc reconnu et
protégé l'enfant conçu avant qu'il ne fut visible
pour ses parents et pour les médecins. Il ne s'est pas
même contenté d'y voir un être humain : il l'a
considéré comme né.
L'enfant conçu
est un être humain. Telle est l'évidence toute simple sur
laquelle repose le droit français ! Il n'y a là nulle
fiction, nulle construction intellectuelle. C'est la
réalité qui s'affirme dans les solutions du droit.
L'enfant conçu
est, un droit positif français, une personne comme les autres et
un enfant comme les autres. C'est sa nature qui impose sa loi.
Cette affirmation
simple et évidente fonde toute une série de solutions
dont on ne mentionnera que quelques-unes :
- toute atteinte
physique portée à l'enfant conçu donne lieu
à
réparation,
- l'enfant conçu
a la capacité d'acquérir et de succéder,
- les liens juridiques
de filiation peuvent être constatés et
juridiquement établis dès avant la naissance,
- la loi pénale
incrimine la provocation à l'abandon "d'un enfant
né ou à naître" .
Un des arrêts
attaqués, celui de la Cour d'appel de RIOM, s'empare de la
condition de viabilité dont l'article 725 du Code Civil assorti
la capacité de succéder de l'enfant conçu, ceci
pour lui dénier la qualité de personne humaine.
Cette déduction
est fausse. Elle procède d'une analyse erronée de la
condition de viabilité.
La réserve de la
viabilité de l'enfant n'est qu'une sorte de condition
résolutoire. La fiction n'est pas dans l'existence de
l'enfant conçu qui n'est pas encore né ; elle est, au
contraire, dans l'inexistence de l'enfant conçu qui ne
naîtra pas viable. Cette fiction d'inexistence est un moyen
commode pour répartir les biens familiaux sans tenir compte d'un
être dont les héritiers ne paraissent pas devoir
l'emporter sur ceux de ses parents.
La condition que
l'enfant naisse viable n'est pas une condition qui effacerait
retroactivement la période d'existence de l'enfant conçu.
C'est seulement lorsque, par sa consitution physique, l'enfant se
révèle non viable à la naissance, que ses droits
successoraux, dont il était titulaire depuis sa conception,
disparaissent.
*
La loi VEIL,
elle-même, reconnait implicitement la qualité d'être
humain de l'enfant conçu.
En effet, son article
1er est ainsi rédigé :
"La loi garantit le respect de tout être humain
dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté
atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité
et selon les conditions définies par la présente loi".
Ainsi, après
avoir posé le principe général du respect de tout être
humain dès le commencement de la vie, la loi admet ensuite
que l'avortement pratiqué dans les conditions définies
aux articles suivants porte atteinte à ce principe.
C'est donc bien que l'embryon supprimé lors d'un avortement est
un être humain.
* *
*
Pourquoi, dès
lors, dans les lois sur la bioéthique du 29 juillet 1994, le
législateur s'est-il contenté de rappeler le principe du
respect de l'être humain dès le commencement de la vie et
n'a pas voulu fixer le statut précis de l'embryon. Pourquoi
a-t-il légiféré sur l'embryon sans lui
reconnaître, au préalable, la qualité qui
correspond à sa nature propre, celle de personne humaine ?
L'explication est
simple. Cette méconnaissance volontaire de la
réalité (l'existence d'un petit être humain)
s'explique par le fait qu'admettre explicitement que l'embryon est une
personne humaine, c'est admettre, en conséquence, que le
supprimer est un meurtre.
Comme certains
parlementaires l'ont reconnu, le législateur a refusé de
définir l'embryon humain comme une personne humaine pour qu'une
telle définition n'apparaisse pas comme une remise en cause de
la libéralisation de l'avortement et également pour
pouvoir légaliser les procédés actuels de
procréation artificielle impliquant la destruction des embryons
surnuméraires.
*
Officiellement, pour
justifier une telle carence, on s'est retranché derrière
le rapport MATTEI sur l'éthique biomédicale, rapport
remis au Premier Ministre le 15 novembre 1993. Ce rapport avait
estimé impossible de donner une définition juridique de
l'embryon pour trois raisons, dont vous allez pouvoir juger
l'inconsistance :
1°) La première raison est qualifiée de "scientifique"
: on ne pourrait déterminer le moment où l'oeuf
fécondé devient embryon (soit quelques jours après
la fécondation) et le moment où l'embryon devient foetus
(soit 2 mois plus tard).
Mais quelle importance
dès lors que ces distinctions sont des distinctions purement
pratiques faites par les médecins et ne correspondent nullement
à un changement de nature. On sait que dès la
fécondation de l'ovule, un nouvel être humain existe et se
développe de manière continue au cours des
différentes phases de son développement.
On sait bien, comme l'a
rappelé le Conseil de l'Ordre des médecins dans le
rapport que nous avons cité tout à l'heure et que nous
citons à nouveau, qu'il y a une "continuité parfaite
de l'individu de sa conception jusqu'à sa mort, en passant par
différents stades qui changent l'aspect morphologique de
l'être mais pas sa nature profonde" ?
2°) La seconde raison avancée pour refuser de définir
le statut de l'embryon est une raison contraceptive : il deviendrait
difficile de se prononcer sur l'utilisation du stérilet qui
empêche l'implantation de l'embryon de 7 à 10 jours.
En effet, le
stérilet n'est pas un moyen contraceptif qui empêche la
fécondation ; il est, en réalité, un moyen abortif
qui empêche, ensuite, la nidation de l'oeuf
fécondé. On retrouve ici la raison profonde du refus de
reconnaître à l'embryon sa véritable nature : ne
pas remettre en cause l'avortement. On tait la
réalité pour permettre de continuer à tuer les
enfants dans le sein de leur mère.
3°) La troisième raison, présentée comme la
plus importante, est que l'embryon ne serait (je cite le rapport MATTEI)
"que l'expression morphologique temporaire d'une seule et
même vie qui commence dès la fécondation et se
poursuit jusqu'à la mort en passant successivement par les
stades d'oeuf fécondé, d'embryon, de foetus, de
nouveau-né, d'enfant, d'adolescent, d'adulte et enfin de
personne âgée. Vouloir statuer sur l'embryon conduirait
évidemment à statuer aussi sur les autres stades que
sont, notamment, l'oeuf fécondé et le feotus".
Cette troisième
raison est tout aussi inopérante que les
précédentes ; elle ne répond pas à la
question qui se pose. Il ne s'agit pas de donner des définitions
scientifiques des stades morphologiques successifs de l'enfant
conçu. Il s'agit uniquement de dire s'il est bien un être
humain à part entière dès l'instant de la
fécondation.
Répetons encore
ce que nous disent les médecins : il y a une "continuité
parfaite de l'individu de sa conception jusqu'à sa mort" ; seul
change "l'aspect morphologique de l'être (certes)
mais pas sa nature profonde", sa nature d'être humain.
Et voici maintenant,
l'incroyable conclusion du rapport MATTEI sur cette question du statut
de l'embryon. Après avoir rappelé que la vie humaine
commence dès l'instant de la fécondation, le rapport
recommande (je cite) "de s'en tenir à la
réaffirmation du respect de la vie dès son commencement
et de ne pas aborder l'impossible statut de l'embryon".
Ce propos est
totalement incohérent : on devrait respecter la vie humaine
dès la fécondation, mais on ne pourrait dire s'il existe,
dès ce moment, un être humain !
En toute logique,
respecter la vie de l'embryon devait conduire à lui
reconnaître la qualité d'être humain. Qui d'autre
qu'un être humain possède la vie humaine ?
*
Le rapport MATTEI a
ainsi créé un hiatus totalement artificiel entre le
respect de l'embryon dès le commencement de sa vie et la
qualification qui s'en évince : celle d'être humain.
Il est
résulté de ce hiatus que, dans les lois sur la
bioéthique, bien que l'embryon n'y soit pas défini comme
une personne humaine, il lui est néanmoins reconnu un certain
nombre de droits protecteurs, ce qui est parfaitement contradictoire.
Car, enfin, de deux choses l'une : soit il est une personne humaine et
il a droit au respect attaché à cette qualité,
soit c'est un simple amas de cellules et aucun respect particulier ne
lui est dû.
C'est bien ce qu'a eu
la franchise de reconnaître implicitement le Conseil
Constitutionnel dans son arrêt du 27 juillet 1994.
Il a constaté
que, bien qu'il ait assorti la conception, l'implantation et la
conservation des embryons fécondés in vitro d'un certain
nombre de garanties, le législateur n'avait pas
considéré que devait être assurée la
conservation, en toutes circonstances, et pour une durée
indéterminée, de tous les embryons déjà
formés. Il en a logiquement tiré cette déduction, extrêmement
grave mais malheureusement exacte, que le législateur avait
(je cite) "estimé que le principe du respect de tout
être humain dès le commencement de sa vie ne leur
était pas applicable".
Mais, il faut le
dire avec toute l'indignation nécessaire, le Conseil
Constitutionnel n'a rien trouvé à redire à
cela !
*
Vous le voyez, il n'y a
pas de demi-mesure. A moins de créer une sous-catégorie
d'êtres humains, comme l'ont fait les lois sur la
bioéthique pour les embryons conçus in vitro, à
moins d'instituer une nouvelle forme d'esclavage, il n'y a pas de
troisième voie, à mi-chemin entre l'humain que la loi
protège et le reste dont on dispose à sa guise.
La qualification
hybride et néologique de "personne humaine potentielle"
retenue par le Comité National d'éthique ne correspond on
l'a vu, à aucune réalité scientifique. Elle ne
peut, non plus, que faire sourire le juriste. Quelle est cette
catégorie étrange et virtuelle dans laquelle se situerait
l'embryon, humain d'un côté mais pas assez humain de
l'autre ? Une personne humaine est ou n'est pas.
*
La réponse
à la question que nous posions au début de nos
observations s'impose donc : Oui, l'embryon est une personne à
part entière. La science reconnait l'embryon comme la forme la
plus jeune d'un être humain. Le Droit lui reconnait la
qualité de personne humaine.
L'existence d'un
être humain dès la conception n'est pas une conviction de
quelques personnes, c'est une réalité objective prise en
compte par le droit.
Dès lors, les
dispositions des Conventions internationales que nous avons
rappelées tout à l'heure et qui consacrent le droit
à la vie de toute personne humaine s'appliquent
incontestablement à l'enfant conçu.
* *
*
La question de la
compatibilité de la loi VEIL avec ces dispositions a
déjà été examinée, vous le savez,
par le Conseil d'Etat à propos de la légalité de
l'arrêté du Ministre de la Santé autorisant la
distribution de la pilule abortive RU 486. Dans deux arrêts
d'assemblée du 21 décembre 1990, il a
déclaré cette loi compatible avec les dispositions sur le
droit à la vie de la Convention Européenne et du Pacte
International.
On remarque
d'emblée que le Conseil d'Etat a implicitement
considéré que l'embryon était une personne
humaine. Autrement, il aurait refusé d'apprécier la
compatibilité de la législation sur l'avortement avec les
dispositions conventionnelles invoquées ; il aurait tout
simplement rejeté le moyen tiré de
l'incompatibilité en le déclarant inopérant.
Or, ce n'est pas ce
qu'il a fait.
Les arrêts sont
clairs : ils se prononcent nettement sur la question de la
compatibilité. Le Conseil d'Etat a donc admis que le droit
à la vie devait être reconnu et garanti à l'enfant
conçu.
Cependant, si ces
arrêts doivent être approuvés en ce qu'ils ont ainsi
implicitement admis que l'embryon était une personne humaine
titulaire du droit à la vie, ils ne sauraient l'être, en
revanche, en ce qu'ils ont déclaré que la loi VEIL du 17
janvier 1975 ne portait pas atteinte à ce droit.
Ces arrêts sont
ainsi rédigés :
"Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 17
janvier 1975 : "La loi garantit le respect de tout être humain
dès le commencement de la vie. Il ne saurait être
porté atteinte à ce principe qu'en cas de
nécessité et selon les conditions et limites
définies par la présente loi" ; qu'eu égard
aux conditions ainsi posées par le législateur, les
dispositions issues des lois des 17 janvier 1975 et 31 décembre
1979 relatives à l'interruption volontaire de grossesse, prises
dans leur ensemble, ne sont pas incompatibles avec les stipulations
précitées de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et du pacte international sur les
droits civils et politiques".
Cette affirmation
péremptoire n'est pas une motivation, elle se
réfère au seul article 1er de la loi VEIL. Elle
procède de l'idée préconçue, imposée
dans les esprits par une certaine propagande, selon laquelle cette loi
ferait sien le principe du respect de la vie dès son
commencement et n'autoriserait l'avortement que de manière tout
à fait exceptionnelle, comme un ultime recours.
On ne saurait,
bien-sûr, se satisfaire d'une telle affirmation, ceci pour deux
raisons essentielles.
* *
*
Tout d'abord, de toute
évidence, le principe du respect de la vie innocente est
inconditionnel ou il n'est pas.
L'enfant conçu
ne possède aucun de ces droits subjectifs voués à
entrer en conflit avec d'autres droits qui pourraient l'emporter sur
les siens, aucun de ces droits qui peuvent se perdre.
L'enfant conçu
n'a aucun de ces droits subjectifs parce que, comme toute personne
humaine, il est au fondement même du droit.
L'enfant conçu a
un droit fondamental à la vie,
indépendamment même de toute convention internationnale
qui ne crée pas ce droit mais ne fait qu'en constater
l'existence. Il a un droit fondamental au dessus de toute loi.
Non pas un droit subjectif qu'il revendique ou qu'on revendique pour
lui, mais un droit objectif qu'il tient de sa nature même
d'être humain. L'enfant conçu est une
réalité que nul ne peut jauger ou mesurer et que le droit
a pour mission de sauvegarder.
Les Conventions
internationales qui consacrent le droit à la vie n'y apportent
d'ailleurs aucune restriction. Ce droit est absolu et ne comporte
d'autre exception que celle prévue par la C.E.D.H. en cas de
sentence capitale prononcée par un Tribunal.
Cette raison
essentielle (le caractère absolu du droit à la vie)
suffit à priver de fondement les deux décisions du
Conseil d'Etat. Elle suffit à établir
l'incompatibilité de notre législation sur l'avortement
avec les Conventions internationales.
* *
*
Mais, il existe une
autre raison pour laquelle l'affirmation péremptoire du Conseil
d'Etat n'est pas admissible. Elle résulte de l'analyse de la loi
VIEL du 17 janvier 1975. Il est, en effet, manifeste que les
conditions, dont est assortie l'autorisation pour les femmes
d'interrompre leur grossesse, n'ont aucune portée
réelle, de sorte que, loin de la limiter à des cas
exceptionnels, la loi a largement ouvert le recours à cette
pratique, créant, en réalité, un véritable droit
à l'avortement, réduisant à néant le
principe du respect de la vie humaine.
Examinons plus
précisément ce qu'il en est.
La loi pose bien, en
effet, en son article 1er, le principe du respect de la vie dès
son commencement : "La loi garantit le respect de tout être
humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être
porté atteinte à ce principe qu'en cas de
nécessité et selon les conditions et limites
définies par la présente loi" .
Cependant, pour juger
de la sincérité de la proclamation du principe
formulé dans la première proposition, il convient de
mesurer l'étendue des prétendues exceptions
prévues dans la seconde.
La loi distingue trois
cas : un cas général, largement majoritaire dans les
faits, l'avortement de détresse ; deux cas particuliers,
l'avortement thérapeutique et l'avortement eugénique.
1°) L'expression d'avortement de détresse employée
pour caractériser le premier cas est, en réalité,
inexacte. Il serait plus juste de parler d'avortement de convenance,
car si la loi énonce, en effet, que, seule, une situation de
détresse peut justifier le recours à l'avortement pendant
les dix premières semaines de grossesse, la loi ne
définit pas ce qu'elle entend par là et, surtout, elle
laisse à la femme, et à elle seule, le soin de
décider si elle se trouve ou non dans une telle situation.
Cette exigence d'une
situation de détresse est donc parfaitement hypocrite. Elle n'a
aucune portée réelle et rien ne permet de faire obstacle
aux avortements de pure convenance. Pour obtenir le
bénéfice de la loi, il suffit à la femme
d'invoquer une situation de détresse sans qu'aucun
contrôle ne soit effectué sur la réalité de
cette situation. Déjà en 1979, d'après une
étude effectuée par la revue "Le Concours
Médical" et portant sur 3.000 cas, seulement 19 % des I.V.G.
étaient motivées par une situation de détresse.
De même en est-il
de la procédure prévue pour éclairer le
consentement de la femme et envisager une solution de remplacement.
Aucune sanction pénale n'est prévue à l'encontre
des Etablissements Hospitaliers en cas de non-respect de cette
procédure. De sorte qu'en pratique, on sait bien que cette
procédure se réduit le plus souvent à une simple
formalité, lorsque toutefois elle n'est pas totalement
inexistante.
Pour l'avortement de "détresse",
seules les prescriptions selon lesquelles l'intervention doit avoir
lieu avant la fin de la dixième semaine de grossesse et doit
être effectuée par un médecin en milieu
hospitalier, seules ces deux prescriptions d'ordre exclusivement
médical et sanitaire sont imposées à peine de
sanctions pénales. Cette sévérité
sélective de la loi traduit bien la véritable intention
du législateur qui était seulement de limiter les risques
que présente l'avortement pour la santé de la femme et
non pas de limiter le recours à cette pratique aux seuls cas
extrêmes.
"Ainsi (comme le
constate Monique DRAPIER dans un article paru en 1985 à la Revue
de Droit Public), chaque femme, sous réserve de quelques
conditions de délai et de procédure, peut librement
recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Les services
publics hospitaliers doivent répondre à leur demande.
L'Etat, afin que nulle discrimination ne vienne gêner la mise en
oeuvre de cette liberté, en assume le coût financier. Il
semble que l'on doive conclure à l'existence d'un droit objectif
à l'avortement".
Il ne reste donc rien
du principe du respect de la vie dès son commencement. Le
droit à la vie a fait place au droit à l'avortement,
c'est-à-dire au droit de supprimer la vie.
Ce cas principal
d'avortement, le plus répandu, suffit donc, à lui seul,
à vider le principe du respect de la vie de toute substance.
Voyons néanmoins ce qu'il en est des deux autres cas secondaires.
2°) La loi permet aussi l'avortement lorsque (je cite) "la
poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de
la femme". C'est l'avortement thérapeutique.
Ce n'est plus, comme
autrefois, un danger de mort qui justifie l'avortement
thérapeutique. Un danger grave pour la santé suffit et,
au cours des discussions parlementaires, il a été
précisé que cette notion de santé recouvrait non
seulement la santé physique, mais aussi la santé
psychique.
Quant à la
notion de "péril grave", qui seule, en principe,
justifie que la santé de la femme puisse prévaloir sur la
vie de l'enfant, cette notion totalement subjective est laissée
à l'appréciation des médecins. La pratique
révèle que la tendance est d'abuser de cette
possibilité d'avortement, qui n'étant, elle,
limitée par aucun délai, peut trop facilement servir de
relais à l'avortement de "détresse".
La loi a ainsi
opéré une extension quasi-illimitée des
cas d'avortement thérapeutique sous couvert d'exigences sans
portée réelle.
3°) Le troisième "cas de nécessité"
prévu par la loi est celui dans lequel existe (je cite) "une
forte probabilité que l'enfant à naître soit
atteint d'une affection d'une particulière gravité
reconnue comme incurable".
Cet avortement
eugénique n'est pas présenté comme tel dans la
loi, mais, de façon erronée et sans doute pas
innocente, comme un cas particulier d'avortement
thérapeutique. L'hypocrisie de la loi est ici encore manifeste :
il ne s'agit pas de soigner la mère ou l'enfant, mais de
supprimer ce dernier. Si l'on doit parler de thérapeutique,
c'est d'une thérapeutique par la mort qu'il s'agit.
Justifié par une
probabilité de malformation, ce cas d'avortement implique le
risque de tuer un enfant parfaitement normal et ne tient pas compte des
progrès les plus récents de la médecine qui
prouvent que l'incurabilité est de plus en plus relative. Et les
notions totalement subjectives comme celle de "forte
probabilité" et de "gravité particulière",
ne constituent qu'un rempart illusoire contre les risques d'abus. Il
est si facile de passer de la probabilité au probabilisme. Lors
des débats parlementaires, il avait été question
d'affections graves et relativement rares, mais ces hypothèses
d'application ont été, en réalité,
largement dépassées.
*
A l'examen de ces trois
cas d'avortement autorisé, vous voyez clairement que, loin de
limiter l'avortement à des cas exceptionnels et bien
circonscrits, la loi du 17 janvier 1975 a, malgré son
affirmation de principe, largement ouvert le recours à cette
pratique, conférant à la femme, tout au moins pendant les
dix premières semaines de grossesse, un véritable
droit de vie ou de mort sur l'enfant qu'elle porte.
Suffirait-il pour
respecter le principe du droit à la vie de le proclamer
hautement en tête d'une loi pour aussitôt après,
dans les articles suivants, le vider de sa substance ?
Pour respecter les
droits fondamentaux, suffirait-il d'exiger de qui veut les fouler au
pied qu'il estime en avoir quelque raison ? Telle est la condition
d'une situation de détresse de la mère qui figure dans la
loi et dont le Conseil d'Etat s'est saisi pour prétendre que
l'avortement était limité aux cas de
nécessité ?
De la
nécessité à la détresse arbitrairement
décidée par la mère, n'y a-t-il aucune nuance ?
Il ne s'agit pas
là d'interprétation de textes obscurs ou ambigus, mais de
leur sens clair et précis. Les articles 2 et suivants de la loi réduisent
à néant l'article 1er.
Vous qui êtes
rompus à l'analyse des textes, vous n'êtes pas, vous ne
pouvez pas être dupes d'une telle supercherie ! Et ce
n'est pas ici qu'une volonté politique ou médiatique
quelconque vous fera affirmer le contraire.
* *
*
La ruine du respect de
la vie entraîne aussi dans sa chute celle de la paternité.
La loi de 1975
précise que, chaque fois que cela est possible, le couple
participe à la consultation et à la décision
à prendre. Mais, là encore, il s'agit d'un voeu pieux et
le Conseil d'Etat, rejetant dans un arrêt du 30 octobre 1980 la
requête d'un père meurtri, en a déduit que
l'établissement hospitalier ne commettait aucune faute en
n'invitant même pas le père à intervenir.
Il est significatif que
cette décision soit fondée sur la considération
des droits de la mère : celle-ci ne saurait être
privée, dit le Conseil d'Etat, "du droit
d'apprécier elle-même si sa situation justifie
l'interruption de la grossesse". Vous remarquerez bien que le
Conseil d'Etat ne dit même plus "sa situation de
détresse" mais "sa situation" tout court, ce qui est
tout à fait révélateur du véritable sens de
la loi.
La Haute
Assemblée reconnait donc explicitement - comme le texte le lui
permettait - que la loi a entendu conférer à la
mère le droit de décider seule et discrétionnairement
du sort de son enfant.
Ainsi, non seulement le
père n'a aucun moyen d'empêcher l'avortement de la
mère, mais cette dernière n'est même pas
obligée de le prévenir de ses intentions
C'est nier totalement
le lien de filiation qui unit le père à son enfant et qui
peut être constaté et juridiquement établi
dès avant la naissance.
Il ne reste donc rien
du droit, pour le père et l'enfant, de "mener une vie
familiale normale", droit reconnu, par le célèbre
arrêt MARCKX de la Cour Européenne des Droits de l'Homme
en application de l'article 8 de la Convention.
Le lien de
paternité est purement et simplement effacé par le droit
à l'avortement de la mère.
* *
*
La loi, donc, a
consacré un véritable droit à l'avortement
réduisant à néant tant le principe du respect du
droit à la vie que le principe du respect de la vie familiale.
Ce droit résulte
d'ailleurs non seulement de l'analyse des textes mais aussi de
l'application qui en est faite. On entend parler sans cesse du droit
des femmes à l'avortement qui ne pourrait être remis en
cause.
Ce droit à
l'avortement a été consacré, en droit, le
jour du vote de la loi de 1975 et, en fait, depuis 20 ans par
application exacte de ses termes clairs et précis.
Il est donc faux de
prétendre que la loi n'autoriserait l'avortement que dans des
cas exceptionnels et qu'il en serait fait une application extensive qui
dépasserait ses prévisions.
La loi a fait de
l'avortement un droit et elle est appliquée comme tel.
*
S'il en était
besoin, les chiffres sont là pour le confirmer. Pour
l'année 1993, l'INED, dans sa revue Population (3, 1995, p.
780), estime le nombre d'avortement à 225.000. Il est en
moyenne, depuis 1975, de 250.000 par an.
On ne vous fera pas
croire, et personne ne le cherche d'ailleurs et pour cause, que, dans
notre pays, chaque année, 250.000 femmes sont contraintes de
sacrifier leur enfant pour survivre à leur détresse !
Et ce chiffre, s'il
s'est certes légèrement infléchi ses
dernières années, n'est pas près de baisser
significativement. Le magazine féminin "Elle" du 25 mars
1996 indique que, d'après le Planning Familial, "une
femme sur deux avortera dans sa vie".
Une étude
récente de l'INED, paru dans sa revue Population (3, 1995, p 779
à 810), révèle que le taux de récidive
d'avortement pour 1991 est de 24 %. C'est-à-dire que 24 % des
femmes ayant subi un avortement cette année-là avaient
déjà subi auparavant au moins un avortement. En 1976, ce
taux n'était que de 10,4 %. Il a plus que doublé.
* *
*
Mais, une
société ne peut impunément ériger
l'avortement en droit. On demanda un jour à René CASSIN,
ce défenseur inlassable des droits de la personne, si le droit
à l'avortement pourrait un jour être reconnu. Il
répondit aussitôt : "Toute société qui
reconnaîtrait l'avortement comme un droit de l'homme se
condamnerait à mort".
Elle se condamne
bien-sûr à mort physiquement par les conséquences
démographiques inévitables de l'avortement. Comme la
plupart des pays d'Europe, la France vieillit, les naissances ne
suffisent plus à remplacer les générations. Il
faudrait un indice de fécondité de 2,1 par femme au lieu
de l'indice actuel de 1,7. Il manque chaque année environ
150.000 naissances.
Alfred SAUVY
constatait, désabusé, en 1988 : "l'Europe est en
train de couler (démographiquement) au moment même
où l'on annonce qu'elle va naître".
*
Mais notre
société se condamne aussi à mort moralement et
socialement.
Comment a-t-on pu
penser que légaliser l'avortement n'aurait pas de profondes
implications morales et sociales ? C'est toute la conception même
de l'homme qui en a été pervertie.
Il n'est donc pas
étonnant de constater, à travers les scandales qui
secouent la France et même l'Europe (du sang contaminé
à la vache folle), le peu de valeur que certains de nos hommes
politique accordent à la vie humaine.
Il y a maintenant plus
de dix ans, le Professeur Christian ATIAS, l'avait pourtant
annoncé en ces termes : "l'Etat qui a été
jusqu'à définir l'humain et reconnaîte à
certains êtres un droit de vie et de mort sur d'autres, pourra
tout se permettre et se permettra tout. Il est des points de
non-retour, des immoralités si profondes qu'elles emportent tout
avec elles ; comparées à elles, rien n'est grave. Tout
est maintenant possible".
Il n'est pas
étonnant non plus que la perversion et la violence aient
gagné du terrain. L'actualité est malheureusement pleine
de cette violence sauvage, aveugle, gratuite. Cette violence
inouïe qui, avec les récentes affaires de
pédophilie, a franchi un nouveau pas dans l'horreur. Ce qui
paraissait le plus sacré, l'innocence d'un enfant, n'est
même plus à l'abri.
Faut-il
réellement en être surpris ? L'Etat n'a-t-il pas depuis
vingt ans institutionnalisé la violence en légalisant
l'avortement ?
Oui, la violence faite
à cet enfant agressé dans le nid protecteur du sein
maternel. L'échographie d'un avortement à dix semaines
nous montre cette atroce réalité. Elle nous montre le
spectacle horrible de ce petit être qui tente
désespérément d'éviter le contact de
l'embout de succion qui va le mettre en pièces, qui va lui
arracher les membres puis le corps. La tête, trop grosse pour
être aspirée, sera au préalable
écrasée à l'aide de forceps.
Nous voudrions citer
ici les paroles, profondes de vérité, prononcées
en février 1994 par Mère Teresa de Calcutta, Prix Nobel
de la paix, dans un discours prononcé à Washington devant
le Président Clinton :
"Je pense que de nos jours, le plus grand destructeur de la paix
est l'avortement, parce que c'est une guerre contre l'enfant, un
assassinat de l'enfant innocent... Si nous acceptons qu'une mère
puisse tuer son propre enfant, comment pouvons-nous dire aux autres de
ne pas se tuer entre eux ?...
Par l'avortement, la mère n'apprend pas à aimer mais
à tuer son propre enfant pour résoudre ses propres
problèmes. Et par l'avortement, le père est
dégagé de toute responsabilité pour l'enfant qu'il
a mis au monde. Ce père est capable de mettre d'autres femmes
dans les mêmes difficultés et ainsi l'avortement conduit
à davantage d'avortements. Tout pays qui accepte l'avortement
n'apprend pas à ses habitants à aimer mais à
utiliser la violence pour obtenir ce qu'ils veulent. C'est pourquoi le
plus grand destructeur de l'amour et de la paix est l'avortement".
* *
*
L'Etat a failli
à sa tâche. Son devoir était de protéger
l'enfant conçu et d'apporter aide et secours aux mères en
détresse, de tout faire pour éviter qu'elles n'en
arrivent à cette extrémité fatale.
Non, l'avortement n'est
pas un mal quelque fois nécessaire, il est un mal toujours
évitable !
A cette voie
dictée par toute conscience droite, l'Etat a
préféré la voie de la facilité, la voie de
la démission morale, celle qui mène à l'extension
du mal et non à sa diminution.
Sous la pression d'une
minorité agissante, il a considéré que la loi ne
pouvait plus empêcher les femmes de recourir à
l'avortement et que la seule chose qu'elle pouvait faire était,
en quelque sorte, de protéger les femmes contre
elles-mêmes en réglementant cette pratique pour en
diminuer les risques et en prenant en charge son coût financier
pour assurer l'égalité.
*
La Cour de Cassation,
seule maintenant, peut rappeler l'Etat à son devoir qui est de
faire respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. Vous en
avez la possibilité juridique car vous pouvez décider
qu'une loi porte atteinte à un droit fondamental consacré
par les conventions internationales.
C'est ce qu'il vous est
demandé de faire aujourd'hui en déclarant notre
législation sur l'avortement incompatible avec les dispositions
de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et du Pacte
International sur les droits civils et politiques consacrant le droit
à la vie.
*
Ce que nous vous
demandons est parfaitement fondé en droit, nous l'avons
démontré. Ce que nous vous demandons ne pourrait se
heurter qu'à une objection d'ordre social : comment remettre en
cause ce qui est considéré comme un acquis, ce qui, mis
à part quelques voix qui s'élèvent ici ou
là, semble être définitivement entré dans
les moeurs ?
Nous répondons
tout simplement que tout défenseur des droits de la personne
contre la barbarie et l'oppression doit avoir le courage de remettre en
cause l'ordre établi au nom de principes supérieurs.
Au siècle
dernier, aux Etats-Unis, il a bien fallu libérer les esclaves
noirs au risque de bouleverser l'équilibre social et
économique de nombreux états américains.
Aujourd'hui, vous ne
devez pas craindre de briser le prétendu consensus social autour
de l'avortement, car ce consensus est purement artificiel : il ne tient
que grâce à l'ignorance et à la
désinformation.
Ce sont les
médias qui préparent l'opinion et qui fabriquent les
consensus. Il suffirait que la télévision passe, à
une heure de grande écoute, une émission décrivant
objectivement l'évolution de l'embryon dans le sein de sa
mère et la manière dont s'opère un avortement, pour
que ce consensus VOLE EN ECLATS.
De toute
manière, vous savez bien qu'une loi qui fait de l'avortement un
droit ne peut avoir qu'un temps, car elle diminue peu à peu les
forces vives de la Nation. Elle mène inéluctablement la
société à sa perte.
Celle-ci devra bien,
tôt ou tard, par la force des choses, revenir au respect du Droit
qui fait sa cohésion et assure sa prospérité.
Dans votre
délibéré, souvenez-vous de l'avertissement
lancé par René CASSIN : "Toute société
qui reconnaîtrait l'avortement comme un droit se condamnerait
à mort".
La cassation des
arrêts attaqués que vous allez prononcer sera l'honneur de
la Cour de Cassation française d'avoir la première
dénoncé l'atteinte portée par l'avortement
légalisé au droit le plus fondamental qui soit : le droit
à la vie !