PLAIDOIRIE POUR LA VIE
        

        Le débat qui s'instaure pour la première fois aujourd'hui devant vous est fondamental : il met en évidence l'incompatibilité insurmontable de la loi Veil du 17 janvier 1975 et, partant, de l'article L. 162-15 du C.S.P., avec les conventions internationales. Elle est la seule raison pour laquelle nous sommes venus plaider devant vous.

(........................)

        Venons-en maintenant à l'essentiel du débat, c'est-à-dire au délit d'entrave à l'I.V.G., et au moyen principal soulevé dans des termes identiques à l'appui des trois pourvois, à savoir l'incompatibilité de la loi du 17 janvier 1975 dépénalisant l'avortement et donc de l'article L. 162-15 du C.S.P. avec les conventions internationales qui consacrent le droit à la vie et le droit au respect de la vie familiale.


        Le droit à la vie est inscrit à l'article 2 de la C.E.D.H. : "Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi". Il est également inscrit à l'article 6 du Pacte international sur les droits civils et politiques : "Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi".

        
Alors se pose la grande question qui domine tout le débat.
        
        Ce droit inhérent à la vie peut-il être invoqué en faveur de l'enfant conçu non encore né ? En d'autres termes, cet enfant conçu est-il une personne humaine entrant dans les prévisions des dispositions des conventions internationales que nous venons de rappeler ?

        Vous devez répondre solennellement aujourd'hui à cette question fondamentale.

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        On a toujours su, parce que c'est dans la nature des choses, mais maintenant on le démontre scientifiquement, que toute vie commence dès l'instant de la fécondation. Cette certitude n'est ni une hypothèse de théoricien ni une opinion de théologien, c'est une constatation expérimentale.

        Dès que les 23 chromosomes paternels rencontrent les 23 chromosomes maternels, se trouvent rassemblée toute l'information génétique nécessaire et suffisante pour spécifier chacune des qualités innées du nouvel individu. L'information ainsi contenue dans ces 46 chromosomes est déchiffrée par le cytoplasme de l'oeuf fécondé et le nouvel être commence à s'exprimer. Pendant 9 mois, il va se développer dans le sein de sa mère.

        La nature de cet être commençant ne fait, non plus, aucun doute : il est un être humain, un membre à part entière de l'espèce humaine. Que pourrait-il être d'autre ?

        C'est ce qu'a rappelé avec force le Conseil de l'Ordre des Médecins dans un rapport sur la procréation médicalement assistée adopté à l'unanimité au mois de juillet 1994.

        Il a affirmé que l'embryon devait (je cite) "être considéré dès sa conception comme un être de nature humaine". Et il a précisé que "les fondements du statut de l'embryon" reposaient sur quatre séries de preuves :

1°- Preuves biologiques, d'abord : (je cite) "Il y a une continuité parfaite de l'individu de sa conception jusqu'à sa mort, en passant par différents stades qui changent l'aspect morphologique de l'être mais pas sa nature profonde".

2°- Preuves psychologiques, ensuite : "il est possible (dit le rapport) d'apprécier l'humanité du foetus de plus en plus précocement par l'étude des échanges foeto-maternels et de son éveil sensoriel".

3°- Preuves juridiques, aussi : le rapport invoque l'article 1er de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'I.V.G. et la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

4°- Preuves éthiques, enfin (je cite encore le rapport) : "l'embryon représente une unité physique et spirituelle individualisée, faisant partie de notre humanité".

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        Ce qui est clair pour la science médicale l'est aussi pour la tradition juridique et, plus particulièrement, pour le droit français.

        Notre droit a toujours fait la plus large application du principe hérité du droit romain, selon lequel "l'enfant conçu est réputé né chaque fois que tel est son intérêt". Notre droit a donc reconnu et protégé l'enfant conçu avant qu'il ne fut visible pour ses parents et pour les médecins. Il ne s'est pas même contenté d'y voir un être humain : il l'a considéré comme né.

        L'enfant conçu est un être humain. Telle est l'évidence toute simple sur laquelle repose le droit français ! Il n'y a là nulle fiction, nulle construction intellectuelle. C'est la réalité qui s'affirme dans les solutions du droit.

        L'enfant conçu est, un droit positif français, une personne comme les autres et un enfant comme les autres. C'est sa nature qui impose sa loi.

        Cette affirmation simple et évidente fonde toute une série de solutions dont on ne mentionnera que quelques-unes :

        - toute atteinte physique portée à l'enfant conçu donne lieu à
réparation,

        - l'enfant conçu a la capacité d'acquérir et de succéder,

        - les liens juridiques de filiation peuvent être constatés et
juridiquement établis dès avant la naissance,

        - la loi pénale incrimine la provocation à l'abandon "d'un enfant
né ou à naître"
.


        Un des arrêts attaqués, celui de la Cour d'appel de RIOM, s'empare de la condition de viabilité dont l'article 725 du Code Civil assorti la capacité de succéder de l'enfant conçu, ceci pour lui dénier la qualité de personne humaine.

        Cette déduction est fausse. Elle procède d'une analyse erronée de la condition de viabilité.

        La réserve de la viabilité de l'enfant n'est qu'une sorte de condition résolutoire. La fiction n'est pas dans l'existence de l'enfant conçu qui n'est pas encore né ; elle est, au contraire, dans l'inexistence de l'enfant conçu qui ne naîtra pas viable. Cette fiction d'inexistence est un moyen commode pour répartir les biens familiaux sans tenir compte d'un être dont les héritiers ne paraissent pas devoir l'emporter sur ceux de ses parents.

        La condition que l'enfant naisse viable n'est pas une condition qui effacerait retroactivement la période d'existence de l'enfant conçu. C'est seulement lorsque, par sa consitution physique, l'enfant se révèle non viable à la naissance, que ses droits successoraux, dont il était titulaire depuis sa conception, disparaissent.

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        La loi VEIL, elle-même, reconnait implicitement la qualité d'être humain de l'enfant conçu.

        En effet, son article 1er est ainsi rédigé :

"La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi".

        Ainsi, après avoir posé le principe général du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, la loi admet ensuite que l'avortement pratiqué dans les conditions définies aux articles suivants porte atteinte à ce principe. C'est donc bien que l'embryon supprimé lors d'un avortement est un être humain.

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        Pourquoi, dès lors, dans les lois sur la bioéthique du 29 juillet 1994, le législateur s'est-il contenté de rappeler le principe du respect de l'être humain dès le commencement de la vie et n'a pas voulu fixer le statut précis de l'embryon. Pourquoi a-t-il légiféré sur l'embryon sans lui reconnaître, au préalable, la qualité qui correspond à sa nature propre, celle de personne humaine ?

        L'explication est simple. Cette méconnaissance volontaire de la réalité (l'existence d'un petit être humain) s'explique par le fait qu'admettre explicitement que l'embryon est une personne humaine, c'est admettre, en conséquence, que le supprimer est un meurtre.

        Comme certains parlementaires l'ont reconnu, le législateur a refusé de définir l'embryon humain comme une personne humaine pour qu'une telle définition n'apparaisse pas comme une remise en cause de la libéralisation de l'avortement et également pour pouvoir légaliser les procédés actuels de procréation artificielle impliquant la destruction des embryons surnuméraires.

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        Officiellement, pour justifier une telle carence, on s'est retranché derrière le rapport MATTEI sur l'éthique biomédicale, rapport remis au Premier Ministre le 15 novembre 1993. Ce rapport avait estimé impossible de donner une définition juridique de l'embryon pour trois raisons, dont vous allez pouvoir juger l'inconsistance :

1°) La première raison est qualifiée de "scientifique" : on ne pourrait déterminer le moment où l'oeuf fécondé devient embryon (soit quelques jours après la fécondation) et le moment où l'embryon devient foetus (soit 2 mois plus tard).

        Mais quelle importance dès lors que ces distinctions sont des distinctions purement pratiques faites par les médecins et ne correspondent nullement à un changement de nature. On sait que dès la fécondation de l'ovule, un nouvel être humain existe et se développe de manière continue au cours des différentes phases de son développement.

        On sait bien, comme l'a rappelé le Conseil de l'Ordre des médecins dans le rapport que nous avons cité tout à l'heure et que nous citons à nouveau, qu'il y a une "continuité parfaite de l'individu de sa conception jusqu'à sa mort, en passant par différents stades qui changent l'aspect morphologique de l'être mais pas sa nature profonde" ?

2°) La seconde raison avancée pour refuser de définir le statut de l'embryon est une raison contraceptive : il deviendrait difficile de se prononcer sur l'utilisation du stérilet qui empêche l'implantation de l'embryon de 7 à 10 jours.

        En effet, le stérilet n'est pas un moyen contraceptif qui empêche la fécondation ; il est, en réalité, un moyen abortif qui empêche, ensuite, la nidation de l'oeuf fécondé. On retrouve ici la raison profonde du refus de reconnaître à l'embryon sa véritable nature : ne pas remettre en cause l'avortement. On tait la réalité pour permettre de continuer à tuer les enfants dans le sein de leur mère.

3°) La troisième raison, présentée comme la plus importante, est que l'embryon ne serait (je cite le rapport MATTEI) "que l'expression morphologique temporaire d'une seule et même vie qui commence dès la fécondation et se poursuit jusqu'à la mort en passant successivement par les stades d'oeuf fécondé, d'embryon, de foetus, de nouveau-né, d'enfant, d'adolescent, d'adulte et enfin de personne âgée. Vouloir statuer sur l'embryon conduirait évidemment à statuer aussi sur les autres stades que sont, notamment, l'oeuf fécondé et le feotus".

        Cette troisième raison est tout aussi inopérante que les précédentes ; elle ne répond pas à la question qui se pose. Il ne s'agit pas de donner des définitions scientifiques des stades morphologiques successifs de l'enfant conçu. Il s'agit uniquement de dire s'il est bien un être humain à part entière dès l'instant de la fécondation.
        
        Répetons encore ce que nous disent les médecins : il y a une "continuité parfaite de l'individu de sa conception jusqu'à sa mort" ; seul change "l'aspect morphologique de l'être (certes) mais pas sa nature profonde", sa nature d'être humain.
        
        Et voici maintenant, l'incroyable conclusion du rapport MATTEI sur cette question du statut de l'embryon. Après avoir rappelé que la vie humaine commence dès l'instant de la fécondation, le rapport recommande (je cite) "de s'en tenir à la réaffirmation du respect de la vie dès son commencement et de ne pas aborder l'impossible statut de l'embryon".

        Ce propos est totalement incohérent : on devrait respecter la vie humaine dès la fécondation, mais on ne pourrait dire s'il existe, dès ce moment, un être humain !

        En toute logique, respecter la vie de l'embryon devait conduire à lui reconnaître la qualité d'être humain. Qui d'autre qu'un être humain possède la vie humaine ?

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        Le rapport MATTEI a ainsi créé un hiatus totalement artificiel entre le respect de l'embryon dès le commencement de sa vie et la qualification qui s'en évince : celle d'être humain.

        Il est résulté de ce hiatus que, dans les lois sur la bioéthique, bien que l'embryon n'y soit pas défini comme une personne humaine, il lui est néanmoins reconnu un certain nombre de droits protecteurs, ce qui est parfaitement contradictoire. Car, enfin, de deux choses l'une : soit il est une personne humaine et il a droit au respect attaché à cette qualité, soit c'est un simple amas de cellules et aucun respect particulier ne lui est dû.

        C'est bien ce qu'a eu la franchise de reconnaître implicitement le Conseil Constitutionnel dans son arrêt du 27 juillet 1994.

        Il a constaté que, bien qu'il ait assorti la conception, l'implantation et la conservation des embryons fécondés in vitro d'un certain nombre de garanties, le législateur n'avait pas considéré que devait être assurée la conservation, en toutes circonstances, et pour une durée indéterminée, de tous les embryons déjà formés. Il en a logiquement tiré cette déduction, extrêmement grave mais malheureusement exacte, que le législateur avait (je cite) "estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne leur était pas applicable".

        
Mais, il faut le dire avec toute l'indignation nécessaire, le Conseil Constitutionnel n'a rien trouvé à redire à cela !

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        Vous le voyez, il n'y a pas de demi-mesure. A moins de créer une sous-catégorie d'êtres humains, comme l'ont fait les lois sur la bioéthique pour les embryons conçus in vitro, à moins d'instituer une nouvelle forme d'esclavage, il n'y a pas de troisième voie, à mi-chemin entre l'humain que la loi protège et le reste dont on dispose à sa guise.

        La qualification hybride et néologique de "personne humaine potentielle" retenue par le Comité National d'éthique ne correspond on l'a vu, à aucune réalité scientifique. Elle ne peut, non plus, que faire sourire le juriste. Quelle est cette catégorie étrange et virtuelle dans laquelle se situerait l'embryon, humain d'un côté mais pas assez humain de l'autre ? Une personne humaine est ou n'est pas.

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        La réponse à la question que nous posions au début de nos observations s'impose donc : Oui, l'embryon est une personne à part entière. La science reconnait l'embryon comme la forme la plus jeune d'un être humain. Le Droit lui reconnait la qualité de personne humaine.

        L'existence d'un être humain dès la conception n'est pas une conviction de quelques personnes, c'est une réalité objective prise en compte par le droit.

        Dès lors, les dispositions des Conventions internationales que nous avons rappelées tout à l'heure et qui consacrent le droit à la vie de toute personne humaine s'appliquent incontestablement à l'enfant conçu.

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        La question de la compatibilité de la loi VEIL avec ces dispositions a déjà été examinée, vous le savez, par le Conseil d'Etat à propos de la légalité de l'arrêté du Ministre de la Santé autorisant la distribution de la pilule abortive RU 486. Dans deux arrêts d'assemblée du 21 décembre 1990, il a déclaré cette loi compatible avec les dispositions sur le droit à la vie de la Convention Européenne et du Pacte International.

        On remarque d'emblée que le Conseil d'Etat a implicitement considéré que l'embryon était une personne humaine. Autrement, il aurait refusé d'apprécier la compatibilité de la législation sur l'avortement avec les dispositions conventionnelles invoquées ; il aurait tout simplement rejeté le moyen tiré de l'incompatibilité en le déclarant inopérant.

        Or, ce n'est pas ce qu'il a fait.

        Les arrêts sont clairs : ils se prononcent nettement sur la question de la compatibilité. Le Conseil d'Etat a donc admis que le droit à la vie devait être reconnu et garanti à l'enfant conçu.

        Cependant, si ces arrêts doivent être approuvés en ce qu'ils ont ainsi implicitement admis que l'embryon était une personne humaine titulaire du droit à la vie, ils ne sauraient l'être, en revanche, en ce qu'ils ont déclaré que la loi VEIL du 17 janvier 1975 ne portait pas atteinte à ce droit.

        Ces arrêts sont ainsi rédigés :

"Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 17 janvier 1975 : "La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions et limites définies par la présente loi" ; qu'eu égard aux conditions ainsi posées par le législateur, les dispositions issues des lois des 17 janvier 1975 et 31 décembre 1979 relatives à l'interruption volontaire de grossesse, prises dans leur ensemble, ne sont pas incompatibles avec les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du pacte international sur les droits civils et politiques".

        Cette affirmation péremptoire n'est pas une motivation, elle se réfère au seul article 1er de la loi VEIL. Elle procède de l'idée préconçue, imposée dans les esprits par une certaine propagande, selon laquelle cette loi ferait sien le principe du respect de la vie dès son commencement et n'autoriserait l'avortement que de manière tout à fait exceptionnelle, comme un ultime recours.

        On ne saurait, bien-sûr, se satisfaire d'une telle affirmation, ceci pour deux raisons essentielles.

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         Tout d'abord, de toute évidence, le principe du respect de la vie innocente est inconditionnel ou il n'est pas.

        L'enfant conçu ne possède aucun de ces droits subjectifs voués à entrer en conflit avec d'autres droits qui pourraient l'emporter sur les siens, aucun de ces droits qui peuvent se perdre.

        L'enfant conçu n'a aucun de ces droits subjectifs parce que, comme toute personne humaine, il est au fondement même du droit.

        L'enfant conçu a un droit fondamental à la vie, indépendamment même de toute convention internationnale qui ne crée pas ce droit mais ne fait qu'en constater l'existence. Il a un droit fondamental au dessus de toute loi. Non pas un droit subjectif qu'il revendique ou qu'on revendique pour lui, mais un droit objectif qu'il tient de sa nature même d'être humain. L'enfant conçu est une réalité que nul ne peut jauger ou mesurer et que le droit a pour mission de sauvegarder.

        Les Conventions internationales qui consacrent le droit à la vie n'y apportent d'ailleurs aucune restriction. Ce droit est absolu et ne comporte d'autre exception que celle prévue par la C.E.D.H. en cas de sentence capitale prononcée par un Tribunal.

        Cette raison essentielle (le caractère absolu du droit à la vie) suffit à priver de fondement les deux décisions du Conseil d'Etat. Elle suffit à établir l'incompatibilité de notre législation sur l'avortement avec les Conventions internationales.

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        Mais, il existe une autre raison pour laquelle l'affirmation péremptoire du Conseil d'Etat n'est pas admissible. Elle résulte de l'analyse de la loi VIEL du 17 janvier 1975. Il est, en effet, manifeste que les conditions, dont est assortie l'autorisation pour les femmes d'interrompre leur grossesse, n'ont aucune portée réelle, de sorte que, loin de la limiter à des cas exceptionnels, la loi a largement ouvert le recours à cette pratique, créant, en réalité, un véritable droit à l'avortement, réduisant à néant le principe du respect de la vie humaine.

        Examinons plus précisément ce qu'il en est.

        La loi pose bien, en effet, en son article 1er, le principe du respect de la vie dès son commencement : "La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions et limites définies par la présente loi" .

        Cependant, pour juger de la sincérité de la proclamation du principe formulé dans la première proposition, il convient de mesurer l'étendue des prétendues exceptions prévues dans la seconde.

        La loi distingue trois cas : un cas général, largement majoritaire dans les faits, l'avortement de détresse ; deux cas particuliers, l'avortement thérapeutique et l'avortement eugénique.

1°) L'expression d'avortement de détresse employée pour caractériser le premier cas est, en réalité, inexacte. Il serait plus juste de parler d'avortement de convenance, car si la loi énonce, en effet, que, seule, une situation de détresse peut justifier le recours à l'avortement pendant les dix premières semaines de grossesse, la loi ne définit pas ce qu'elle entend par là et, surtout, elle laisse à la femme, et à elle seule, le soin de décider si elle se trouve ou non dans une telle situation.

        Cette exigence d'une situation de détresse est donc parfaitement hypocrite. Elle n'a aucune portée réelle et rien ne permet de faire obstacle aux avortements de pure convenance. Pour obtenir le bénéfice de la loi, il suffit à la femme d'invoquer une situation de détresse sans qu'aucun contrôle ne soit effectué sur la réalité de cette situation. Déjà en 1979, d'après une étude effectuée par la revue "Le Concours Médical" et portant sur 3.000 cas, seulement 19 % des I.V.G. étaient motivées par une situation de détresse.

        De même en est-il de la procédure prévue pour éclairer le consentement de la femme et envisager une solution de remplacement. Aucune sanction pénale n'est prévue à l'encontre des Etablissements Hospitaliers en cas de non-respect de cette procédure. De sorte qu'en pratique, on sait bien que cette procédure se réduit le plus souvent à une simple formalité, lorsque toutefois elle n'est pas totalement inexistante.

        Pour l'avortement de "détresse", seules les prescriptions selon lesquelles l'intervention doit avoir lieu avant la fin de la dixième semaine de grossesse et doit être effectuée par un médecin en milieu hospitalier, seules ces deux prescriptions d'ordre exclusivement médical et sanitaire sont imposées à peine de sanctions pénales. Cette sévérité sélective de la loi traduit bien la véritable intention du législateur qui était seulement de limiter les risques que présente l'avortement pour la santé de la femme et non pas de limiter le recours à cette pratique aux seuls cas extrêmes.

        "Ainsi (comme le constate Monique DRAPIER dans un article paru en 1985 à la Revue de Droit Public), chaque femme, sous réserve de quelques conditions de délai et de procédure, peut librement recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Les services publics hospitaliers doivent répondre à leur demande. L'Etat, afin que nulle discrimination ne vienne gêner la mise en oeuvre de cette liberté, en assume le coût financier. Il semble que l'on doive conclure à l'existence d'un droit objectif à l'avortement".

        Il ne reste donc rien du principe du respect de la vie dès son commencement. Le droit à la vie a fait place au droit à l'avortement, c'est-à-dire au droit de supprimer la vie.

        Ce cas principal d'avortement, le plus répandu, suffit donc, à lui seul, à vider le principe du respect de la vie de toute substance. Voyons néanmoins ce qu'il en est des deux autres cas secondaires.
        

2°) La loi permet aussi l'avortement lorsque (je cite) "la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme". C'est l'avortement thérapeutique.

        Ce n'est plus, comme autrefois, un danger de mort qui justifie l'avortement thérapeutique. Un danger grave pour la santé suffit et, au cours des discussions parlementaires, il a été précisé que cette notion de santé recouvrait non seulement la santé physique, mais aussi la santé psychique.

        Quant à la notion de "péril grave", qui seule, en principe, justifie que la santé de la femme puisse prévaloir sur la vie de l'enfant, cette notion totalement subjective est laissée à l'appréciation des médecins. La pratique révèle que la tendance est d'abuser de cette possibilité d'avortement, qui n'étant, elle, limitée par aucun délai, peut trop facilement servir de relais à l'avortement de "détresse".

        La loi a ainsi opéré une extension quasi-illimitée des cas d'avortement thérapeutique sous couvert d'exigences sans portée réelle.


3°) Le troisième "cas de nécessité" prévu par la loi est celui dans lequel existe (je cite) "une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable".


        Cet avortement eugénique n'est pas présenté comme tel dans la loi, mais, de façon erronée et sans doute pas innocente, comme un cas particulier d'avortement thérapeutique. L'hypocrisie de la loi est ici encore manifeste : il ne s'agit pas de soigner la mère ou l'enfant, mais de supprimer ce dernier. Si l'on doit parler de thérapeutique, c'est d'une thérapeutique par la mort qu'il s'agit.

        Justifié par une probabilité de malformation, ce cas d'avortement implique le risque de tuer un enfant parfaitement normal et ne tient pas compte des progrès les plus récents de la médecine qui prouvent que l'incurabilité est de plus en plus relative. Et les notions totalement subjectives comme celle de "forte probabilité" et de "gravité particulière", ne constituent qu'un rempart illusoire contre les risques d'abus. Il est si facile de passer de la probabilité au probabilisme. Lors des débats parlementaires, il avait été question d'affections graves et relativement rares, mais ces hypothèses d'application ont été, en réalité, largement dépassées.

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        A l'examen de ces trois cas d'avortement autorisé, vous voyez clairement que, loin de limiter l'avortement à des cas exceptionnels et bien circonscrits, la loi du 17 janvier 1975 a, malgré son affirmation de principe, largement ouvert le recours à cette pratique, conférant à la femme, tout au moins pendant les dix premières semaines de grossesse, un véritable droit de vie ou de mort sur l'enfant qu'elle porte.

        Suffirait-il pour respecter le principe du droit à la vie de le proclamer hautement en tête d'une loi pour aussitôt après, dans les articles suivants, le vider de sa substance ?

        Pour respecter les droits fondamentaux, suffirait-il d'exiger de qui veut les fouler au pied qu'il estime en avoir quelque raison ? Telle est la condition d'une situation de détresse de la mère qui figure dans la loi et dont le Conseil d'Etat s'est saisi pour prétendre que l'avortement était limité aux cas de nécessité ?

        De la nécessité à la détresse arbitrairement décidée par la mère, n'y a-t-il aucune nuance ?

        Il ne s'agit pas là d'interprétation de textes obscurs ou ambigus, mais de leur sens clair et précis. Les articles 2 et suivants de la loi réduisent à néant l'article 1er.

        Vous qui êtes rompus à l'analyse des textes, vous n'êtes pas, vous ne pouvez pas être dupes d'une telle supercherie ! Et ce n'est pas ici qu'une volonté politique ou médiatique quelconque vous fera affirmer le contraire.

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        La ruine du respect de la vie entraîne aussi dans sa chute celle de la paternité.

        La loi de 1975 précise que, chaque fois que cela est possible, le couple participe à la consultation et à la décision à prendre. Mais, là encore, il s'agit d'un voeu pieux et le Conseil d'Etat, rejetant dans un arrêt du 30 octobre 1980 la requête d'un père meurtri, en a déduit que l'établissement hospitalier ne commettait aucune faute en n'invitant même pas le père à intervenir.

        Il est significatif que cette décision soit fondée sur la considération des droits de la mère : celle-ci ne saurait être privée, dit le Conseil d'Etat, "du droit d'apprécier elle-même si sa situation justifie l'interruption de la grossesse". Vous remarquerez bien que le Conseil d'Etat ne dit même plus "sa situation de détresse" mais "sa situation" tout court, ce qui est tout à fait révélateur du véritable sens de la loi.

        La Haute Assemblée reconnait donc explicitement - comme le texte le lui permettait - que la loi a entendu conférer à la mère le droit de décider seule et discrétionnairement du sort de son enfant.

        Ainsi, non seulement le père n'a aucun moyen d'empêcher l'avortement de la mère, mais cette dernière n'est même pas obligée de le prévenir de ses intentions

        C'est nier totalement le lien de filiation qui unit le père à son enfant et qui peut être constaté et juridiquement établi dès avant la naissance.

        Il ne reste donc rien du droit, pour le père et l'enfant, de "mener une vie familiale normale", droit reconnu, par le célèbre arrêt MARCKX de la Cour Européenne des Droits de l'Homme en application de l'article 8 de la Convention.

        Le lien de paternité est purement et simplement effacé par le droit à l'avortement de la mère.

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        La loi, donc, a consacré un véritable droit à l'avortement réduisant à néant tant le principe du respect du droit à la vie que le principe du respect de la vie familiale.

        Ce droit résulte d'ailleurs non seulement de l'analyse des textes mais aussi de l'application qui en est faite. On entend parler sans cesse du droit des femmes à l'avortement qui ne pourrait être remis en cause.

        Ce droit à l'avortement a été consacré, en droit, le jour du vote de la loi de 1975 et, en fait, depuis 20 ans par application exacte de ses termes clairs et précis.

        Il est donc faux de prétendre que la loi n'autoriserait l'avortement que dans des cas exceptionnels et qu'il en serait fait une application extensive qui dépasserait ses prévisions.

        La loi a fait de l'avortement un droit et elle est appliquée comme tel.

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        S'il en était besoin, les chiffres sont là pour le confirmer. Pour l'année 1993, l'INED, dans sa revue Population (3, 1995, p. 780), estime le nombre d'avortement à 225.000. Il est en moyenne, depuis 1975, de 250.000 par an.

        On ne vous fera pas croire, et personne ne le cherche d'ailleurs et pour cause, que, dans notre pays, chaque année, 250.000 femmes sont contraintes de sacrifier leur enfant pour survivre à leur détresse !

        Et ce chiffre, s'il s'est certes légèrement infléchi ses dernières années, n'est pas près de baisser significativement. Le magazine féminin "Elle" du 25 mars 1996 indique que, d'après le Planning Familial, "une femme sur deux avortera dans sa vie".

        Une étude récente de l'INED, paru dans sa revue Population (3, 1995, p 779 à 810), révèle que le taux de récidive d'avortement pour 1991 est de 24 %. C'est-à-dire que 24 % des femmes ayant subi un avortement cette année-là avaient déjà subi auparavant au moins un avortement. En 1976, ce taux n'était que de 10,4 %. Il a plus que doublé.

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        Mais, une société ne peut impunément ériger l'avortement en droit. On demanda un jour à René CASSIN, ce défenseur inlassable des droits de la personne, si le droit à l'avortement pourrait un jour être reconnu. Il répondit aussitôt : "Toute société qui reconnaîtrait l'avortement comme un droit de l'homme se condamnerait à mort".

        Elle se condamne bien-sûr à mort physiquement par les conséquences démographiques inévitables de l'avortement. Comme la plupart des pays d'Europe, la France vieillit, les naissances ne suffisent plus à remplacer les générations. Il faudrait un indice de fécondité de 2,1 par femme au lieu de l'indice actuel de 1,7. Il manque chaque année environ 150.000 naissances.

        Alfred SAUVY constatait, désabusé, en 1988 : "l'Europe est en train de couler (démographiquement) au moment même où l'on annonce qu'elle va naître".

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        Mais notre société se condamne aussi à mort moralement et socialement.

        Comment a-t-on pu penser que légaliser l'avortement n'aurait pas de profondes implications morales et sociales ? C'est toute la conception même de l'homme qui en a été pervertie.

        Il n'est donc pas étonnant de constater, à travers les scandales qui secouent la France et même l'Europe (du sang contaminé à la vache folle), le peu de valeur que certains de nos hommes politique accordent à la vie humaine.

        Il y a maintenant plus de dix ans, le Professeur Christian ATIAS, l'avait pourtant annoncé en ces termes : "l'Etat qui a été jusqu'à définir l'humain et reconnaîte à certains êtres un droit de vie et de mort sur d'autres, pourra tout se permettre et se permettra tout. Il est des points de non-retour, des immoralités si profondes qu'elles emportent tout avec elles ; comparées à elles, rien n'est grave. Tout est maintenant possible".


        Il n'est pas étonnant non plus que la perversion et la violence aient gagné du terrain. L'actualité est malheureusement pleine de cette violence sauvage, aveugle, gratuite. Cette violence inouïe qui, avec les récentes affaires de pédophilie, a franchi un nouveau pas dans l'horreur. Ce qui paraissait le plus sacré, l'innocence d'un enfant, n'est même plus à l'abri.

        Faut-il réellement en être surpris ? L'Etat n'a-t-il pas depuis vingt ans institutionnalisé la violence en légalisant l'avortement ?

        Oui, la violence faite à cet enfant agressé dans le nid protecteur du sein maternel. L'échographie d'un avortement à dix semaines nous montre cette atroce réalité. Elle nous montre le spectacle horrible de ce petit être qui tente désespérément d'éviter le contact de l'embout de succion qui va le mettre en pièces, qui va lui arracher les membres puis le corps. La tête, trop grosse pour être aspirée, sera au préalable écrasée à l'aide de forceps.

        Nous voudrions citer ici les paroles, profondes de vérité, prononcées en février 1994 par Mère Teresa de Calcutta, Prix Nobel de la paix, dans un discours prononcé à Washington devant le Président Clinton :

"Je pense que de nos jours, le plus grand destructeur de la paix est l'avortement, parce que c'est une guerre contre l'enfant, un assassinat de l'enfant innocent... Si nous acceptons qu'une mère puisse tuer son propre enfant, comment pouvons-nous dire aux autres de ne pas se tuer entre eux ?...

Par l'avortement, la mère n'apprend pas à aimer mais à tuer son propre enfant pour résoudre ses propres problèmes. Et par l'avortement, le père est dégagé de toute responsabilité pour l'enfant qu'il a mis au monde. Ce père est capable de mettre d'autres femmes dans les mêmes difficultés et ainsi l'avortement conduit à davantage d'avortements. Tout pays qui accepte l'avortement n'apprend pas à ses habitants à aimer mais à utiliser la violence pour obtenir ce qu'ils veulent. C'est pourquoi le plus grand destructeur de l'amour et de la paix est l'avortement".

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        L'Etat a failli à sa tâche. Son devoir était de protéger l'enfant conçu et d'apporter aide et secours aux mères en détresse, de tout faire pour éviter qu'elles n'en arrivent à cette extrémité fatale.

        Non, l'avortement n'est pas un mal quelque fois nécessaire, il est un mal toujours évitable !

        A cette voie dictée par toute conscience droite, l'Etat a préféré la voie de la facilité, la voie de la démission morale, celle qui mène à l'extension du mal et non à sa diminution.

        Sous la pression d'une minorité agissante, il a considéré que la loi ne pouvait plus empêcher les femmes de recourir à l'avortement et que la seule chose qu'elle pouvait faire était, en quelque sorte, de protéger les femmes contre elles-mêmes en réglementant cette pratique pour en diminuer les risques et en prenant en charge son coût financier pour assurer l'égalité.

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        La Cour de Cassation, seule maintenant, peut rappeler l'Etat à son devoir qui est de faire respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. Vous en avez la possibilité juridique car vous pouvez décider qu'une loi porte atteinte à un droit fondamental consacré par les conventions internationales.

        C'est ce qu'il vous est demandé de faire aujourd'hui en déclarant notre législation sur l'avortement incompatible avec les dispositions de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et du Pacte International sur les droits civils et politiques consacrant le droit à la vie.

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        Ce que nous vous demandons est parfaitement fondé en droit, nous l'avons démontré. Ce que nous vous demandons ne pourrait se heurter qu'à une objection d'ordre social : comment remettre en cause ce qui est considéré comme un acquis, ce qui, mis à part quelques voix qui s'élèvent ici ou là, semble être définitivement entré dans les moeurs ?

        Nous répondons tout simplement que tout défenseur des droits de la personne contre la barbarie et l'oppression doit avoir le courage de remettre en cause l'ordre établi au nom de principes supérieurs.

        Au siècle dernier, aux Etats-Unis, il a bien fallu libérer les esclaves noirs au risque de bouleverser l'équilibre social et économique de nombreux états américains.

        Aujourd'hui, vous ne devez pas craindre de briser le prétendu consensus social autour de l'avortement, car ce consensus est purement artificiel : il ne tient que grâce à l'ignorance et à la désinformation.

        Ce sont les médias qui préparent l'opinion et qui fabriquent les consensus. Il suffirait que la télévision passe, à une heure de grande écoute, une émission décrivant objectivement l'évolution de l'embryon dans le sein de sa mère et la manière dont s'opère un avortement, pour que ce consensus VOLE EN ECLATS.

        De toute manière, vous savez bien qu'une loi qui fait de l'avortement un droit ne peut avoir qu'un temps, car elle diminue peu à peu les forces vives de la Nation. Elle mène inéluctablement la société à sa perte.

        Celle-ci devra bien, tôt ou tard, par la force des choses, revenir au respect du Droit qui fait sa cohésion et assure sa prospérité.

        Dans votre délibéré, souvenez-vous de l'avertissement lancé par René CASSIN : "Toute société qui reconnaîtrait l'avortement comme un droit se condamnerait à mort".

        La cassation des arrêts attaqués que vous allez prononcer sera l'honneur de la Cour de Cassation française d'avoir la première dénoncé l'atteinte portée par l'avortement légalisé au droit le plus fondamental qui soit : le droit à la vie !