"L'erreur dominante, le crime capital de ce siècle c'est la prétention de soustraire la société publique au gouvernement et à la loi de Dieu"
(Cardinal Pie). L'erreur dominante c'est l'apostasie des nations. La doctrine de la Royauté Sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ est oubliée et la rappeler paraît même parfois quelque peu "religieusement incorrect".

Le Christ est roi parce que Dieu et en même temps "les anges et les hommes doivent obéir et être soumis à l 'autorité qu'Il possède comme homme" (Pie XI, Quas Primas). Jésus-Christ, roi des âmes, règne sur l'ensemble du domaine temporel, social et politique. Ce lien intime du mystère du Christ-Roi et du mystère de l'Incarnation est au centre de toute réflexion sur la Royauté du Christ.

"Le salut de la France ne peut être obtenu que par la reconnaissance du règne du Christ sur la nation" (St Pie X). Tout restaurer dans le Christ, pour qu'Il règne, tel est le sens de tout notre combat.



Le Christ Roi
SALUT DES NATIONS



Dans sa lettre apostolique "Tertio millenio adveniente" (10 novembre 1994), Jean-Paul Il a défini le déroulement de la préparation du Jubilé de l'an 2000. Elle doit s'étendre sur une période de trois années, de 1997 à 1999. Ayant précisé que cette préparation devait être centrée sur le Christ, fils de Dieu fait homme, le pape ajoute que "la structure thématique de ces trois années ne pouvait être que théologique, c'est-à-dire trinitaire... La première année, 1997, sera donc consacrée à la réflexion sur le Christ... la deuxième année sera consacrée à l'Esprit-Saint et à sa présence sanctificatrice à l'intérieur de la communauté des disciples du Christ... l'année 1999 servira à élargir les horizons des croyants selon la perspective même du Christ: la perspective du Père qui est aux cieux par qui Il a été envoyé et vers qui Il est retourné".
1997 sera donc l'occasion d'une réflexion qui devra "célébrer l'Incarnation du Fils de Dieu", le thème général étant "Jésus-Christ sauveur du monde, hier, aujourd'hui et à jamais".
Dans le cadre de cette réflexion, il nous a paru nécessaire d'évoquer le mystère du Christ-Roi, directement lié à celui de l'Incarnation. Cette royauté fournit une vision du monde dont Jean-Paul Il a dit "qu'elle constituait le fondement d'une authentique théologie du laïcat concernant l'engagement des laïcs dans l'ordre temporel" (audience générale du 9février 1994).


SOMMAIRE

INTRODUCTION

Il y a un mystère du Christ-Roi

SENS MÉTAPHORIQUE

Le Christ Roi des intelligences, des volontés, des coeurs

SENS PROPRE - LE TITRE DE ROI
EST DONNE AU CHRIST DANS SON HUMANITE

· Le Christ acquiert humainement le titre de roi

· Le pouvoir royal du Christ acquis par la Croix

· Le pouvoir royal du Christ repose sur l'union hypostatique:
Jésus est Roi parce que Dieu.

· Le Christ refuse de porter le titre de Roi durant sa vie terrestre
-Les pouvoirs du Christ: législateur - juge - exécutif
-Le Christ au-dessus des pouvoirs terrestres
-Le royaume du Christ n'est pas de ce monde, mais il est sur ce monde

LES TROIS NIVEAUX DU ROYAUME LA ROYAUTÉ SOCIALE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS -CHRIST

·        Allez, enseignez toutes les nations
·        Les demandes du Notre Père supposent la Royauté sociale
·        Vie collective et vie privée sont sous l'autorité du Christ-Roi

"TOUT RESTAURER DANS LE CHRIST" (St Pie X)

·        Le règne du Christ qui est l'Église
·        La situation actuelle : la laïcité
·        Que faire?
- Jésus-Christ, roi de nos intelligences
- Vie publique catholique
- Devoir de charité politique

CONCLUSION

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INTRODUCTION

Le 1l décembre 1925, Pie XI publiait l'encyclique Quas Primas instituant une fête nouvelle en l'honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ: la fête du Christ-Roi, lui conférant un rang parmi les plus élevés du cycle liturgique (fête primaire du rite double). Le pape ne cherchait pas à ajouter un titre nouveau au titre de gloire du Sauveur, une prérogative méconnue ou inconnue jusque-là. De tout temps, s'appuyant sur l'Écriture, l'Église a en effet honoré le Christ-Roi, et l'Epiphanie en était en quelque sorte la fête.

Mais Si la liturgie a pour premier objet de rendre au Créateur le culte qui lui est dû, elle cherche aussi à instruire les fidèles, à leur rappeler les grandes vérités doctrinales et, écrit dom de Monléon dans l'introduction à son ouvrage, Le Christ-Roi:

"L'Esprit divin dont l'Église est animée lui fait discerner avec une perspicacité qui dépasse les lumières humaines, avec une sûreté qui ne se trompe pas, les dangers encourus par le peuple dont elle a la garde et les mesures les plus propres à l'en préserver...".

Ainsi, par cette institution en 1925 de la fête du Christ-Roi, l'Église marque-t-elle "que cette fonction royale du Fils de Dieu porte en elle les remèdes que réclame le mal profond des temps modernes", ce mal que dénonce Pie XI dans Quas Primas, sous le nom de laicisme, "véritable peste de notre temps", et que Jean-Paul Il dénoncera sous le vocable de sécuralisation dans Christi fideles laici.
"L'erreur dominante, le crime capital de ce siècle, c'est la prétention de soustraire la société publique au gouvernement et à la loi de Dieu",
écrivait Mgr Pie (évêque de Poitiers en 1849, cardinal en 1879, véritable docteur de la doctrine du Christ-Roi, un second Hilaire dira saint Pie X). L'erreur dorninante, le crime capital c'est l'apostasie des nations. Chassé des gouvernements, le droit chrétien se réfugie-t-il dans les individus? Y est-il à l'état d'énergique aspiration, de sainte revendication? Mgr Pie disait encore:

"Hélas! On veut bien de Jésus-Christ Rédempteur, de Jésus-Christ Sauveur, de Jésus-Christ Prêtre, c'est-à-dire sacrificateur et sanctificateur, mais de Jésus-Christ Roi, on s'en épouvante, on y soupçonne quelqu'empiètement, quelqu'usurpation de puissance (du spirituel sur le temporel), quelque confusion d'attributions et de compétence".

Jean-Paul Il évoque souvent la triple fonction du Christ fonction prophétique, fonction sacerdotale, fonction royale. Les deux premières ne posent pas de difficulté pour nous, comme le notait Mgr Pie. Au contraire, dès qu'il s'agit de la fonction royale, un problème se pose, car le titre de roi ne s'applique pas d'abord à une réalité religieuse. Alors que prêtre est un mot du vocabulaire religieux, roi relève du domaine politique. A "prêtre", on lie prière, pardon, sacrements, rite, groupe religieux. Au titre de roi, on associe une organisation sociale. Et l'on voit bien que derrière cette question "Le Christ est-Il roi?", se profile le thème des liens entre politique et religion, le thème exigeant de l'engagement chrétien dans la société.

Le Christ, est-Il roi? C'est la question de Pilate, à laquelle Jésus répond : "Tu l'as dit; je suis roi". Mais le Christ refuse de se laisser proclamer roi par la foule des juifs, après le miracle de la multiplication des pains. Son royaume n'est assimilable à aucun autre: il y a là un véritable mystère. Comme le mystère du Christ sauveur ou du Christ souverain prêtre, le mystère du Christ-roi est une vérité révélée. Et ce mystère du Christ-roi est intimement lié à celui de l'Incarnation. Il est donc nécessaire de se reporter à la Révélation telle qu'elle est contenue dans l'Ecriture ou explicitée par le Magistère, notamment dans Quas Primas.

Dans les deux premières parties de cet exposé nous allons dégager quelques réflexions sur le véritable visage du règne de Jésus-Christ. En effet, plus nous entendons autour de nous répéter ce cri des juifs infidèles : "nous ne voulons pas que Celui-ci règne sur nous", plus nous voulons essayer de convaincre ceux qui, ainsi, s'égarent, plus nous devons veiller à présenter le véritable sens du règne de Jésus-Christ.


LE SENS MÉTAPHORIQUE

Depuis longtemps, notait Pie XI, dans le langage courant, on donne au Christ le titre de roi, au sens métaphorique (1) et Il l'est en effet.

"Par son éminente et suprême perfection il surpasse toutes les créatures. Ainsi, on dit qu'Il règne sur les intelligences... parce qu'Il est la vérité et que c'est de Lui que les hornmes doivent recevoir la vérité et l'accepter docilement".

L'intelligence humaine peut atteindre, il est vrai, par ses propres raisonnements, une certaine connaissance de la vérité divine. Cette connaissance reste incomplète; elle est fragile. Il est dans notre nature d'avoir besoin de certitude et il n'y a pas d'autre voie que celle de chercher un guide sûr, un pilote infaillible, un "roi" auquel il soit possible d'abandonner sans crainte le soin de diriger notre marche. Et puis cette connaissance ne peut se limiter à une connaissance théorique de Dieu; il faut qu'elle parvienne à voir son Dieu face à face dans une sorte de vision directe. Seul le Christ - parce qu'Il est le Verbe consubstantiel au Père, pour lequel le Père n'a pas de secret peut être ce Maitre. "Personne ne vient au Père sinon par Moi" (Jean XW, 6). Pie XI poursuit:

"On dit (également) que le Christ règne sur les volontés humaines parce qu'en Lui, à la sainteté de la volonté divine, correspond une parfaite rectitude et soumission de la volonté humaine mais aussi parce que sous ses impulsions et ses inspirations, notre volonté libre s'enthousiasme pour les plus nobles causes".

"On dit enfin qu' Il est le Roi des cœurs, à cause de son inconcevable charité, qui surpasse toute compréhension humaine... Il attire à Lui tous les cœurs dans tout le genre humain, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais personne pour être aimé comme le Christ Jésus".


Dans Le Christ Roi, dom de Monléon écrit:

"Par la splendeur des perfections divines qui brillent en Sa personne, par l'élévation de sa doctrine, par la douceur et l'humilité de sa vie, par la générosité de son sacrifice, Il a forcé le cœur de l'homme : "Vous m'avez séduit, Seigneur, et j'ai été pris; Vous avez été plus fort que moi et vous l'avez emporté" (Jérémie, X, 7)".

L'homme est fait pour aimer, mais il ne trouve autour de lui aucune créature capable de remplir son cœur, il ne peut assouvir son besoin d'amour qu'en Dieu. "Vous nous avez fait pour vous, mon Dieu, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en vous" (saint Augustin).
"Lui, et lui seul, mérite une affection sans partage et sans mesure. Lui seul peut revendiquer un empire absolu sur chaque cœur humain". Roi des cœurs est bien un titre qui Lui revient en justice.

Le Christ, roi des intelligences, des volontés, des cœurs... expression métaphorique dit Pie XI. Et c'est vrai que l'on peut se demander, Si l'on en reste à cette métaphore, ce qu'ajoute ce titre de Roi aux titres de Sauveur, Rédempteur, Messie, Verbe de Dieu. N'y a-t-il là qu'une image? Le Père Calmel répond:

"En vérité, l'excellence du Fils de Dieu, Sauveur des hommes, est tellement éminente que nous avons besoin de plusieurs termes pour la comprendre; de sorte que le vocable de roi ne fait pas double emploi avec celui de prêtre. Il y ajoute notamment l'idée suivante de même que le roi se caractérise par le gouvernement d'un groupe politique, ordonné par le moyen d'une loi, de même Jésus-Christ gouverne (...)la multitude des hommes par une loi de grâce et d'autre part ce gouvernement ne peut pas demeurer étranger aux sociétés terrestres. Bref, ce terme de roi, appliqué à Notre-Seigneur, complète le terme de prêtre en ajoutant non seulement des notions d'universalité (roi de tous les hommes et non seulement des chrétiens) mais aussi l'influence sur la société civile".


SENS PROPRE : LE TITRE DE ROI EST DONNÉ AU CHRIST DANS SON HUMANITÉ

On ne peut donc en rester au sens métaphorique et la réflexion du père Calmel va nous servir de transition pour préciser ce qui relève de façon spécifique de cette fonction royale. Après avoir évoqué ce sens métaphorique, Pie XI écrit: "Pour entrer plus à fond dans notre sujet, il est de toute évidence que le nom et la puissance de roi doivent être attribués au sens propre du mot, au Christ dans son humanité".

Comme Verbe de Dieu, consubstantiel au Père, Il ne pouvait pas ne pas avoir tout en commun avec le Père et, par suite, la souveraineté suprême et absolue sur toutes les créatures. Or il est écrit qu'Il a reçu du Père la puissance, l'honneur et la royauté. "Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre", dit Notre Seigneur à ses disciples après la Résurrection, leur enjoignant d'enseigner et de baptiser toutes les nations (Matthieu XXVIII-18).
Et, six siècles auparavant, le prophète Daniel l'avait annoncé:

"Je regardais dans la vision nocturne et je vis que quelqu'un qui était semblable au Fils de l'homme venait sur les nuées du ciel, et il s'avança jusqu'à l'Ancien des jours et les Anges le présentèrent à lui et l'Ancien des jours lui donna la puissance, l'honneur et la royauté; il décréta que tous les peuples, les hommes de toute tribu et de toute langue le serviraient...".

Ce n'est pas en tant que Dieu, en tant que Verbe, commente dom de Monleon, qu'Il a pu recevoir la puissance, l'honneur et la royauté. Tout cela Il le possédait dès le commencement et avant le commencement, de toute éternité. Ce n'est donc pas au Verbe que le prophète dans sa vision nocturne voyait le Père remettre les insignes de la Souveraineté universelle. Mais le Verbe s'est fait chair.


Le Christ acquiert humainement le titre de roi

Dans un premier temps, nous pouvons ici réfléchir, de façon très humaine, à ce titre de roi, comme s'il était possible d'oublier un instant le Verbe consubstantiel au Père, Dieu né de Dieu, pour regarder seulement l'homme né de la Vierge Marie, condamné à mort, sous Ponce Pilate, mis en croix sur le calvaire puis ressuscité et monté aux cieux en présence des apôtres. "Et nous disons que cet homme, quand même il ne serait pas Dieu... pourrait revendiquer avant tout autre la Royauté universelle" (dom de Monléon). Dans la société humaine, les moyens légitimes d'acquérir le pouvoir sont l'hérédité, la conquête, l'élection, l'investiture. Ces quatre titres conviennent à Jésus-Christ considéré dans sa seule humanité.

- Hérédité. Jésus est de race royale, de la famille de David, donc de celle de Juda où se recrutaient les rois et non de celle de Levi qui fournissait les prêtres. Saint Matthieu commence son Evangile par cette généalogie (c'est donc important) et il inspire ainsi les magnifiques galeries de rois qui ornent la façade des grandes cathédrales.
- Conquête. Le Christ a vraiment reconquis le monde sur le démon. Il délivre l'humanité de l'emprise du prince des ténèbres. Au Golgotha, l'humanité captive ~ changé de maître. Il faudrait ici développer toute l'œuvre de l'Eglise - qui est le Christ continué, le Christ répandu et communiqué - au service du seul véritable humanisme - pour en rester au domaine du temporel.
- Investiture. Nous l'avons déjà évoquée. Le Christ reçut en tant qu'homme la puissance, l1honneur, la royauté. Cette investiture vient en quelque sorte ratifier la conquête.
- Élection. "Le titre de roi s 'obtient par une bonne conduite. perd par le péché", dit saint Isidore de Séville. Non seulement saurait trouver dans le Christ aucun péché, mais on contemple dans sa vie le modèle achevé de toutes les vertus. Il est bien la justice vivante, la règle et donc le roi, car les deux mots "regula" et "rex" dérivent de la même racine "regere". Il est bien le roi vers lequel d'instinct se tournent tous les sujets pour lire sur son visage ce qu'il convient de faire, de dire, de blâmer, d'approuver ou de taire.

        Mais, note dom de Monleon, les hommes sont libres de ne pas appeler à leur tête le plus digne et ainsi le droit du Christ à les gouverner pourrait-il demeurer comme suspendu s'Il ne l'avait acquis par la conquête et l'investiture.


Le pouvoir royal du Christ acquis par la Croix

En outre, ajoute Pie XI, ce règne du Christ découle de ce qu'Il nous a rachetés.
Ainsi, cette puissance royale reçue comme homme,

"Notre-Seigneur a-t-Il voulu la recevoir une seconde fois de son Père, en récompense de ses souffrances et de sa mort. Il a fait cela pour nous donner à entendre que depuis sa Résurrection, Il ne Lui suffit plus de régner sur le monde à la manière de Dieu :11 veut que son Humanité exerce effectivement, réellement, immédiatement en quelque sorte, le pouvoir souverain" (dom de Monléon).

Le pouvoir royal du Christ repose sur l'union hypostatique : Jésus est Roi parce que Dieu

Nous ne saurions bien sûr nous arrêter à une vue de la royauté du Christ que nous ne considérerions que comme homme. Cette autorité, cette investiture, il ne l'a pas reçue d'une main étrangère. "C'est le privilège de Son essence et de Sa nature" (saint Cyrille d'Alexandrie); en d'autres termes, commente Pie XI, "son pouvoir royal repose sur cette admirable union qu'on nomme l'union hypostatique", c'est-à-dire l'union dans la personne divine du Christ de la nature divine et de la nature humaine. Jésus est roi parce qu'Il est Dieu. il ajoute:

"Il en résulte que les anges et les hommes ne doivent pas seulement adorer le Christ comme Dieu, mais aussi obéir et être soumis à l'autorité qu'Il possède comme homme".

Ce lien intime du mystère du Christ-Roi et du mystère de l'Incarnation est extrêmement important. il doit être au centre de toute réflexion sur la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ.


Le Christ refuse de porter le titre de roi durant sa vie terrestre

Notre Seigneur, qui tenait essentiellement sa puissance royale de sa divinité a donc voulu, écrivions-nous, la recevoir comme homme pour nous donner à entendre qu'il ne lui suffit pas de régner sur le monde à la manière de Dieu mais qu'Il voulait que son humanité exerçât effectivement, réellement le pouvoir souverain.
Mais alors, comment expliquer que durant sa vie, bien loin de prendre les allures d'un roi, Notre Seigneur ait refusé constamment d'en porter même le titre. Et que signifie: "Mon royaume n 'est pas de ce monde" ? Dans le même temps où Il répond à Pilate: "tu l'as dit, je suis roi", Il précise: "Mon royaume n 'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne sois pas livré aux juifs, mais mon royaume n 'est pas de ce monde". Il revendique la dignité royale et en même temps Il semble l'écarter comme Si Son empire ne comprenait pas la terre où nous vivons.

-Les pouvoirs du Christ
Notons cependant que Si Notre Seigneur n'épouse en rien les allures d'un prince et n'en retient pas le titre, il en exerce les pouvoirs, ces trois pouvoirs sans lesquels on ne peut concevoir une autorité royale, celui de législateur, de juge et de justicier (pouvoir législatif, judiciaire, exécutif).

        Le Christ est législateur. Pie XI enseigne

"C'est un dogme de foi catholique (rappelé par le concile de Trente) que le Christ a été donné aux hommes à la fois comme Rédempteur et comme Législateur, à qui ils sont tenus d'obéir... Les Evangiles nous montrent Jésus dans l'exercice même de son pouvoir législatif.

Il faut ici insister: ce pouvoir législatif ne se limite pas à la vie surnaturelle. Il n'est pas de domaine qui échappe à la Royauté de Notre-Seigneur. L'ordre temporel (ordre domestique, économique, politique) a, certes, des lois propres qui ne sont pas celles de la vie intérieure, mais la souveraineté du Christ s'étend à la reconnaissance de ces lois propres qui découlent de la nature des choses telles que le Créateur les a voulues, découlent du décalogue, des dix commandements. "La vie religieuse (surnaturelle), dit le père Calmel, ne mériterait pas son nom Si elle trichait avec ces lois propres ou les tenait pour insignifiantes". "Je ne suis pas venu abolir la loi (la loi de Moïse), mais l'accomplir", dit Jésus. Et Sa loi est la source de toutes les autres, celles-ci n ont de légitimité que dans la mesure où elles concourent à l'ordre établi par la première. Tout, dans l'univers doit être subordonné à la réalisation du dessein conçu par le Créateur.
"Je ne suis pas venu abolir la loi mais l'accomplir". Le Christ s'attribue une autorité supérieure à celle de Moïse et, non seulement U revendique le droit de légiférer, mais Il se pose comme le fondement de la loi: "Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour".

Le Christ est juge. "Le Père ne juge personne, mais Il a donné au Fils tout jugement" (St Jean V, 22), affirme Jésus Lui-même dans une réponse aux Juifs, qui l'accusaient d'avoir violé le sabbat en guérissant un malade et Pie XI souligne que, dans ce pouvoir judiciaire, est compris le droit de récompenser ou de châtier les hommes même durant leur vie.
Bien que le jugement général des hommes relève de la Très Sainte Trinité, c'est à l'humanité de Jésus-Christ que Dieu en confie l'exécution. Nous citons ici encore le très beau commentaire de dom de Monléon:

        "Il reviendra dans la gloire juger les vivants et les morts. Dans sa souveraine miséricorde, Dieu a agi comme s'Il craignait d'être trop sévère en jugeant directement les pécheurs; Il a paru craindre de ne pouvoir se mettre, Lui pur esprit, à la portée de pauvres âmes murées dans un corps mortel, ni comprendre quelle entrave apporte la chair à leur effort vers le bien. Il a voulu que nous fussions jugés par un homme, un homme véritable, un homme qui a senti comme les autres le poids du jour et de la chaleur; qui a souffert de la faim, de la soif et de toutes les misères d'ici-bas; qui a rencontré sur son chemin mille difficultés de la vie et les tentations du démon. C'est pourquoi Dieu a remis tout le jugement au Fils. Ce jugement, que de fois le Sauveur en a évoqué l'image au cours de ses sermons! Il en a décrit les signes précurseurs et l'appareil formidable. Il l'a présenté non comme une hypothèse possible, une menace, ou un fait de l'autre monde : mais comme un événement historique, absolument certain, quoiqu'à venir".

        Enfin, Il possède la plénitude du pouvoir exécutif.

"Tout pouvoir m a été donné au ciel et sur la terre". Tous, inéluctablement, doivent être soumis à son empire. Le Christ exerce une suzeraineté absolue sur le monde. Il possède la totalité de la puissance royale.

-Le Christ au-dessus des pouvoirs terrestres

Mais, alors, pourquoi refuse-t-Il la royauté que lui offre la foule enthousiaste du dimanche des Rameaux? Pourquoi évite-t-Il toute manifestation extérieure de faste ou de domination? Il y a, notons-le, d'abord dans cette attitude la reconnaissance des autorités régulièrement établies. La monarchie du Christ s'établit au-dessus des souverainetés légitimes sans les détruire, sans abolir leur droits légitimes. Ce sera le "rendez à César ce qui est à César". Le Christ n est pas venu sur terre pour établir une autocratie universelle. Et puis, surtout, Il veut faire entendre qu'Il avait une mission bien plus haute que de rendre à Jérusalem son indépendance. Il veut le faire entendre d'abord à ses compatriotes qui avaient naturalisé la conception messianique au point que ses apôtres eux-mêmes au matin de l'Ascension lui demanderont encore: "Seigneur, est-ce maintenant que vous allez rétablir le royaume d'Israël?".

-Le royaume du Christ n'est pas DE ce monde, mais il est SUR ce monde

Il faut écarter toutes les mauvaises interprétations de l'affirmation "mon royaume n 'est pas de ce monde". Son royaume n'est pas de ce monde parce que Son autorité n'a pas pour fondement les richesses ni les forces d'ici-bas. Son royaume ne provient pas "de" ce monde: non est de hoc mundo. Le "de ce monde" exprime l'origine. Dans la synopse des quatre évangiles du P. Lagrange, on a ajouté des crochets pour éviter toute équivoque. On lit : la royauté (qui est) la mienne n'est pas (originaire) de ce monde. Le "de ce monde" ne signifie nullement que Jésus refuse de reconnaître à sa Souveraineté un caractère de royauté sociale. En marquant le caractère transcendant de Sa royauté, avec Sa volonté de laisser à d'autres l'administration directe des choses temporelles, Jésus-Christ ne cesse pas de subordonner le gouvernement du monde présent aux intérêts du royaume céleste et de maintenir son droit personnel absolu sur tous les domaines ou s exerce l'activité des hommes. On peut aller plus loin. Avec le "rendez à César ce qui est à César", il y a une reconnaissance de l'ordre temporel. Ce temporel qui est représenté par César, a alors sa place dans le salut. C'est cela l'ordre catholique. Le temporel est sauvé, le politique est sauvé et donc l'on peut se sanctifier à travers eux.

"Ma royauté n'est pas de ce monde, c'est-à-dire ma royauté n'est pas une royauté selon ce monde, mon royaume n'est pas un royaume comme ceux de la terre, qui sont bornés, sujets à mille traverses... Ma royauté est beaucoup plus que cela. Mon royaume ne connaît pas de frontières. Il est infini, éternel; il ne dépend ni d'un plébiscite, ni du suffrage universel. Le bon ou le mauvais vouloir des hommes ne peut rien contre lui.
Ma royauté n'est pas une royauté qui passe. Mon trône n'est pas un trône qui a besoin de soldats pour se maintenir et qu'une révolution peut renverser.
Ni dépassement, ni idées nouvelles ne peuvent troubler ce royaume de l'ordre éternel.
Je ne suis pas un roi de ce monde, car les rois de ce monde peuvent tromper et être trompés; on peut leur échapper; on peut fuir leur justice... Rien de tout cela n'est possible à mon égard. Je ne suis pas un roi de ce monde, parce que les rois de ce monde, les chefs politiques de ce monde peuvent être cruels, méchants, insensés, tyranniques, hautains, autant que lointains, inabordables. Tout au contraire, Ma souveraineté est le règne de l'Amour, le règne de Mon Sacré Coeur; Mon gouvernement est celui de la Sagesse éternelle; Mon royaume est celui d'une miséricorde toujours prête à s'épancher en torrents de grâce.
Tel est le sens de la formule évangélique.
Jésus traite ici la question d'origine et non celle de terrain et de compétence. Rien qui signifie que son royaume ne soit pas en ce monde ou sur ce monde. "Il ne résulte aucunement de ces paroles, a pu écrire le R.P. Théotime de Saint Just, que Jésus-Christ ne doive pas régner socialement, c'est-à-dire imposer ses lois aux souverains et aux nations"" (Jean Ousset, Pour qu'il règne).

Cela paraît clair et, pourtant, il faut très régulièrement y insister, car il ne manque pas de bons esprits pour chercher àrestreindre la royauté du Christ au seul domaine spirituel, royauté sur les âmes et non sur les peuples, les nations, les gouvernements.


LES TROIS NIVEAUX DU ROYAUME

Nous concluons ces deux premières parties en utilisant à nouveau un commentaire de dom de Monléon, puisant lui-même dans les auteurs du Moyen-âge, commentaire sur l'inscription en trois langues portée au sommet de la Croix: "Jésus, roi des Juifs" et que Pilate avait refusé de retirer: " Ce qui est écrit est écrit. Quod scripsi scripsi".

"Les Anciens considéraient l'hébreu comme la langue sainte, parce que Dieu avait daigné l'employer lui-même pour dicter à Moïse la loi du Sinaï; le grec, comme la langue de la sagesse, car jamais l'intelligence humaine livrée à ses seules forces ne s'est élevée aussi haut que dans les doctrines des philosophes de l'Hellade. Quant au latin, c'était la langue officielle de l'empire romain, celle donc que parlaient les maîtres de l'univers, et qui servait à gouverner toute la terre. Ces trois langues symbolisent par conséquent les trois mondes, ou les trois ordres, auxquels l'homme appartient à la fois le monde corporel, le monde de l'intelligence, le monde de la grâce.
"Ce titre, beaucoup de Juifs le lurent", écrit l'Évangéliste. Lisons-le donc aussi, en le méditant...
Reconnaissons au Christ le droit à cette triple couronne soumettons notre vie à ses lois, nos intelligences à sa doctrine; nos coeurs à son amour...".

Il y a certes une hiérarchie de ces trois royaumes, ce que Pie XI souligne dans Quas Primas: "Ce royaume est avant tout spirituel et concerne avant tout l'ordre spirituel". Mais il ajoute: "Ce serait une grossière erreur de refuser au Christ-Homme la souveraineté sur les choses civiles quelles qu'elles soient". A ce sujet, le père Calmel, dans sa Brève apologie pour l'Eglise de toujours (annexe consacrée au Christ-Roi) (2) souligne qu'il y a en fait un double écueil sur lequel on risque de se briser:

"Ou bien nous comprenons l'essentiel de la royauté de JésusChrist qui est de convertir les âmes et de les unir à leur Sauveur,
mais nous négligeons l'extension de cette royauté qui est de bâtir selon les contingences historiques une civilisation d'un certain esprit et d'une certaine forme; ou bien, tout au contraire, ayant saisi que les hommes ne sont pas des anges et que les structures de la cité les aident terriblement à se perdre ou à se convertir, nous comprenons l'extension du règne de Jésus-Christ aux valeurs de civilisation mais nous perdons plus ou moins de vue l'essentiel de cette royauté, nous n'en voyons plus que l'aspect social".

Ceci étant dit et la primauté du spirituel étant mise à sa place, c'est sur la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous voulons insister (3), sur cette royauté qui s'impose aux institutions sociales, aux codes, aux lois, aux assemblées, aux nations, aux sociétés donc, ainsi qu'aux civilisations, à l'art et la culture, sur cette royauté qui s'étend sans aucune limitation à tout l'ordre temporel. Disons tout de suite que Si la royauté du Christ dans le domaine religieux de la vie spirituelle se réalise avant tout par le, sacerdoce, puisque c'est le prêtre qui est ministre de la grâce et de l'Evangile, la royauté du Christ sur les choses de ce monde se réalise avant tout par le laicat.

LA ROYAUTÉ SOCIALE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS -CHRIST

La royauté sociale n'est pas qu'une extension de la royauté spirituelle de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle entre dans la plénitude de sa royauté.

Dans le texte que nous avons cité du père Calmel, cette royauté sociale est envisagée comme une extension du règne de Jésus-Christ. Il veut dire par là que "les hommes n 'étant pas des esprits désincarnés, le salut des âmes demande que la royauté de Jésus-Christ s 'étende sur la société". Plus loin, il dira que "Si le règne du Christ est intérieur (royauté invisible sur les âmes) et ecclésial, il s'ensuit inévitablement qu'il est social... en ce sens que sa royauté intérieure... oriente dans un certain sens, dans le sens de la fidélité à la loi divine, les activités profanes et tend à donner une certaine f orme aux lois et aux coutumes, en bannit certaines, en développe d'autres".

Il y a là, en effet, deux aspects à ne pas dissocier: d'une part le salut des âmes demande que la royauté de Jésus-Christ s'étende sur la société - c'est ce que Pie XII dira avec une grande précision: "de la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes" -; et d'autre part le respect de la royauté intérieure crée de bonnes institutions. Relier ces deux aspects élimine la fausse controverse entre politique d'abord ou réforme des moeurs d'abord.

Mais on ne doit pas se limiter à ce commentaire sur la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Elle n'est pas qu'une extension de la royauté du Christ, ce qui risquerait de laisser penser que celle-ci ne serait à proprement parler que spirituelle. Nous l'avons dit, il y a dans cette royauté une plénitude qui comporte les domaines temporel, social et politique.

Allez, enseignez toutes les nations

Commentant la phrase "toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre, allez donc et enseignez toutes les nations", le cardinal Pie écrit:

"Remarquez que Jésus-Christ ne dit pas "tous les hommes, tous les individus, toutes les familles", mais "toutes les nations". Il ne dit pas seulement baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les sacrements, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute, la mission qu'il leur confère, comprend tout cela, mais elle comprend plus que cela, elle a un caractère public, "social", car Jésus-Christ est le roi des peuples et des nations. Et comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie ses apôtres et son sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les législateurs pour enseigner à tous Sa doctrine et Sa loi".

Les demandes du Notre Père supposent la royauté sociale

Ainsi, Jésus-Christ donne à ses apôtres la mission officielle de prêcher son règne social, bien plus, Il veut que ce règne soit proclamé par tous les fidèles. Il le fera demander chaque jour par tout. chrétien dans la prière du Notre Père. Tel est encore l'enseignement de Mgr Pie:

"Jamais le divin fondateur du Christianisme n'a mieux révélé à la terre ce que doit être un chrétien, que quand il a enseigné à ses disciples la façon dont ils devaient prier. En effet, la prière étant comme la respiration religieuse de l'âme, c'est dans la formule élémentaire qu'en a donné Jésus-Christ qu'il faut chercher tout le programme et tout l'esprit du christianisme. Écoutons donc la leçon actuelle du Maître. Vous prierez donc ainsi, dit Jésus. Sic ergo vos orabitis. Notre Père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel".

Et Mgr Pie montre alors que ces trois demandes se résument et se condensent en une, celle du règne public, social, car, explique-t-il, le nom de Dieu ne peut être sanctifié pleinement et totalement s'il n'est reconnu publiquement, la volonté divine n'est pas faite sur la terre comme au ciel Si elle n'est pas accomplie publiquement et socialement. Et il conclut:

"Le chrétien, ce n'est donc pas comme semble le croire et comme l'affirme tous les jours et sur tous les tons un certain monde contemporain, ce n'est donc pas un être qui s'isole en lui-même, qui se séquestre dans un oratoire indistinctement fermé à tous les bruits du siècle et qui, satisfait pourvu qu'il sauve son âme, ne prend aucun souci du mouvement des affaires d'ici-bas. Le chrétien, c'est le contre-pied de cela. Le chrétien, c'est un homme public et social par excellence, son surnom l'indique : il est catholique, ce qui signifie universel. Jésus-Christ, en traçant l'oraison dominicale, a mis ordre à ce qu'aucun des siens ne pût accomplir le premier acte de la religion qui est la prière, sans se mettre en rapport, selon son degré d'intelligence et selon l'étendue de l'horizon ouvert devant lui, avec tout ce qui peut avancer ou retarder, favoriser ou empêcher le règne de Dieu sur la terre. Et comme assurément les œuvres de l'homme doivent être coordonnées avec sa prière, il n'est pas un chrétien digne de ce nom qui ne s'emploie activement dans la mesure de ses forces, à procurer ce règne temporel de Dieu et à renverser ce qui lui fait obstacle".

Vie collective et vie privée sont sous l'autorité du Christ-Roi

Règne public, règne social, Pie XI dans Quas Primas y insiste, faisant siennes les paroles de Léon XIII sur l'universalité du royaume du Christ: "Son empire ne s'étend pas exclusivement aux nations catholiques ni seulement aux chrétiens baptisés qui appartiennent juridiquement à l'Église, même s'ils sont égarés par des opinions erronées ou séparés de sa communion par le schisme; il embrasse tous les hommes". Ayant rappelé les paroles de Léon XIII, Pie XI précise:

"Et à cet égard (celui donc de l'universalité du royaume) il n'y a lieu de faire aucune différence entre les individus, les familles et les États; car les hommes ne sont pas moins soumis à l'autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. Il est l'unique source du salut, de celui des sociétés comme de celui des individus :11 n'existe de salut en aucun autre; aucun autre nom ici-bas n'a été donné aux hommes qu'il leur faille invoquer pour être sauvés. Il est l'unique auteur, pour l'État comme pour chaque citoyen, de la prospérité et du vrai bonheur : la cité ne tient pas son bonheur d'une autre source que les particuliers, vu qu'une cité n'est pas autre chose qu'un ensemble de particuliers unis en société. Les chefs d'État ne sauraient donc refuser de rendre - en leur nom personnel, et avec tout leur peuple - des hommages publics de respect et de soumission à la souveraineté du Christ; tout en sauvegardant leur autorité, ils travailleront ainsi à promouvoir et à développer la prospérité nationale...
Les États, à leur tour, apprendront par la célébration annuelle de cette fête que les gouvernants et les magistrats ont l'obligation, aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et d'obéir à ses lois. Les chefs de la société civile se rappelleront, de leur côté, le dernier jugement, où le Christ accusera ceux qui L'ont expulsé de la vie publique, mais aussi ceux qui L'ont dédaigneusement mis de côté ou ignoré, et punira de pareils outrages par les châtiments les plus terribles; car Sa dignité royale exige que l'État tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l'établissement des lois, dans l'administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse qui doit respecter la saine doctrine et la pureté des mœurs".

Rapprochons ce texte de celui de la réponse de Jésus à Pilate: "tu n 'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut". La royauté du Fils de Dieu est au principe même du pouvoir de Pilate. Preuve, dit Jean Ousset, que le pouvoir civil n'échappe aucunement à Son empire.

Cet exposé a été limité à une description, une sorte d'énoncé de la doctrine du Christ-Roi. Il faudrait l'enrichir avec l'ensemble des preuves scripturaires et traditionnelles. il faudrait à l'appui du règne de Jésus-Christ, apporter tout ce que les prophètes ont dit du règne de Dieu et y ajouter tout ce que les Pères ont dit ensuite du règne de l'Église.


TOUT RESTAURER DANS LE CHRIST
"Le règne du Christ qui est l'Église"

"Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations".
Par ces paroles, le Christ laisse clairement entendre que c'est par son Eglise, par Son enseignement et Sa doctrine qu'il entend exercer Son Règne pratiquement.
"Le règne visible du Dieu incarné c'est le règne permanent de Son Église" (Cardinal Pie). "Le règne du Christ qui est l'Église", est-il écrit dans le Catéchisme du concile de Trente.
La royauté sociale de Notre Seigneur, Jésus-Christ est réalisée par l'application de la doctrine sociale de l'Eglise. C'est la chrétienté. On sait que cette doctrine a pour fondement la loi naturelle dont la synthèse est le décalogue, les dix commandements; mais, écrit Jean Madiran dans Quand il y a une éclipse

"Il n'y a aucune opposition ni alternative entre la doctrine sociale fondée sur la loi naturelle et la doctrine sociale fondée sur le Christ-Roi... La doctrine sociale du Christ-Roi ne vient pas abolir mais accomplir la doctrine sociale de la loi naturelle".

Elle en est la clef de voûte.
Et il y a une certaine imposture à ne pas explicitement inclure la doctrine du Christ-Roi lorsque l'on présente la doctrine sociale. Et c'est pourtant ce qui est régulièrement fait, espérant accroître ainsi son audience. Mais nos adversaires ne s'y trompent pas. On connaît ces textes de Jaurès ou de Briand qui, pour être du début du siècle (au moment de l'élaboration des lois de séparation de l'Église et de l'Etat) n'en sont pas moins terriblement actuels. Jaurès disait:

"Nos adversaires nous ont-ils répondu? Ont-ils opposé doctrine à doctrine, idéal à idéal? Ont-ils eu le courage de dresser contre la pensée de la Révolution l'entière pensée catholique qui revendique pour Dieu, pour le Dieu de la révélation chrétienne, le droit non seulement d'inspirer et de guider la société spirituelle, mais de façonner la société civile? Non, ils se sont dérobés; ils ont chicané sur des détails d'organisation; ils n'ont pas affirmé nettement le principe même qui est comme l'âme de l'Église".

Croyant préserver l'avenir, ont-ils été efficaces? Citons Briand:

"Il n'est pas niable que si les adversaires de la séparation qui étaient très nombreux dans la commission, nous avaient dit dès le début: "Vous posez une question que nous n'avons même pas le droit de discuter, nous catholiques, vous allez légiférer sur une matière que nous ne sommes pas compétents pour apprécier, nous nous retirons"; c'était l'impossibilité pour nous d'élaborer un projet de loi".

La situation actuelle : la laïcité

Si l'on voulait caractériser la situation sociale et politique actuelle en un mot, nous retiendrions celui de laïcité (ou laïcisme). Elle se présente comme réalisant une totale séparation entre vie publique et vie privée, entre ce que certains appellent éthique de conviction et, éthique de responsabilité. Le récent livre de notre ministre de l'Education, celui de M.Jean-François Mattei, témoignent très clairement de ce souci qu'ils érigent en dogme républicain.
        "Messieurs, Si le Sénat inscrivait le nom de Dieu dans une loi sur l'enseignement, disait Jules Ferry, il causerait à la République un tort irréparable". De tels propos sonnent le glas d'une civilisation chrétienne, écrivait dom Gérard.
Cette laïcité, c'est, en fait, Jésus-Christ chassé de la société; c'est la sécularisation absolue des lois, de l'éducation, du régime administratif, des relations internationales et de toute l'économie sociale.
Sécularisation, c'est-à-dire rupture absolue entre la société laïque et le principe chrétien. L'indépendance des institutions humaines par rapport à la doctrine confirmée par la Révélation est préconisée comme la grande conquête, le fait culminant de l'ère moderne.

Les conséquences pour la société sont évidentes:

décadence morale - il n'est pas besoin d'insister, chaque jour voit le fossé se creuser : hier le divorce, aujourd'hui le Contrat d'union civique ou sociale et demain la suppression du mariage, demandée lors d'une réunion au Sénat il y a quelques jours. C'est l'injustice sociale, c'est d'une façon générale l'orgueil effréné et l'égoïsme délirant effaçant tout sens du bien commun... C'est aussi la perte du sens de la nation. Que l'on relise à ce propos le Catéchisme de l'Église catholique (art. 56 à 58):

"Une fois l'unité du genre humain morcelée par le péché, Dieu cherche tout d'abord à sauver l'humanité en passant par chacune de ses parties. L'alliance avec Noé d'après le déluge exprime le principe de l'Économie divine envers les "nations", c'est-à-dire envers les hommes regroupés "d'après leurs pays, chacun selon sa langue et selon leurs clans (Gn. 10.5)".
Cet ordre, à la fois cosmique, social et religieux, de la pluralité des nations confié par la Providence divine à la garde des anges, est destiné à limiter l'orgueil d'une humanité déchue qui, unanime dans sa perversité, voudrait faire par elle-même son unité à la manière de Babel..."

Le mondialisme est une nouvelle construction de Babel. Dom Gérard a pu écrire que l'Organisation des Nations-unies (telle qu'elle se présente aujourd'hui) était en ce sens, à elle seule, un immense blasphème, car que veut dire unir les hommes en dehors du Père qui les a créés, du Fils qui les a rachetés?
D'une façon générale, on a tellement perdu l'habitude de considérer les réalités temporelles à la lumière de la foi que l'idée même d'une politique chrétienne a pratiquement disparu de notre champ de réflexion...

Conséquences donc de cette apostasie sur la société: ce sont les conséquences sur le pouvoir lui-même, rapidement engagé vers la tyrannie ou l'instabilité.
Napoléon III estimant qu'il n'était pas opportun de rétablir un ordre social chrétien, Mgr Pie lui répondra:

"Sire, quand de grands politiques m'objectent que le moment n est pas venu, je n'ai qu'à m'incliner car je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque et comme évêque je leur réponds : le moment n'est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien alors le moment n'est pas venu pour les gouvernements de durer".

Mgr Pie a par ailleurs des pages sévères mais lucides sur la pénurie des "grands hommes":

"Châtiment suprême des sociétés qui ont rejeté le Christ-Roi... les principes manquant, la disette d'hommes dans le camp de
l'ordre est devenue Si grande qu'on ne voit pas surgir, en ce temps, (de chef) qui nous fasse trouver le salut... Il n'y a pas d'hommes là où il n'y a pas de caractères; il n'y a pas de caractères là où il n'y a pas de principes... Jamais le monde n'a été livré aux chances du hasard et de l'imprévu autant qu'il l'est à cette heure".

Conséquence enfin de cet athéisme social : il conduit à l'athéisme individuel. Tant que le Christ ne règne pas sur les sociétés, Son influence sur les individus eux-mêmes demeure superficielle et précaire (Ch. Vigué). Il y a dans l'affirmation de la neutralité de l'Etat, entendue comme une incompétence à reconnaître officiellement les droits de Jésus-Christ et de l'Eglise, une forme d'athéisme de l'omission et de l'indifférence qui arrache la foi du coeur d'un grand nombre. Quand l'erreur est incarnée dans la loi, elle ne tarde pas à pénétrer les esprits profondément. Mgr Pie dit encore:

"L'acte de foi qui est la racine même de la religion a été extirpé de la société européenne, voilà le crime capital (...). (En effet), dire que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles et n'est pas le Dieu des peuples et des sociétés, c'est dire qu'Il n'est pas Dieu. Dire que le christianisme est juge de la morale privée et n'est pas la loi de l'homme collectif, c'est dire que le christianisme n'est pas divin. Dire que l'Église est juge de la morale privée et qu'elle n'a rien à voir avec la morale publique et politique, c'est dire qu'elle n'est pas divine".

Face à cette situation, que faire?

-        Jésus-Christ, roi de nos intelligences
Notre premier devoir est avant tout de faire régner Jésus-Christ sur nos intelligences par une démarche de foi intégrale et complète, qui non seulement affirme la divinité et l'humanité de Jésus-Christ, mais encore proclame Sa royauté sociale. Le cardinal Pie écrit, en s'adressant au chrétien de nos jours, Si prompt à jouer le jeu du naturalisme:

"Mon frère, vous avez la conscience en paix, me dites-vous et tout en acceptant le programme du catholicisme libéral, vous entendez demeurer orthodoxe, attendu que vous croyez fermement à la divinité et à l'humanité de Jésus-Christ, ce qui suffit à constituer un christianisme inattaquable. Détrompez-vous. Dès le temps de saint Grégoire, il y avait "d'aucuns hérétiques", qui croyaient ces deux points comme vous et leur "hérésie consistait à ne point vouloir reconnaître au Dieu fait homme une royauté qui s'étendit à tout.
Non, vous n'êtes point irréprochable dans votre foi; et le pape saint Grégoire vous inflige la note d'hérésie Si vous êtes de ceux qui, se faisant un devoir d'offrir à Jésus l'encens, ne veulent point y ajouter l'or, c'est-à-dire reconnaître et proclamer sa Royauté sociale".

-        
Vie publique catholique
Cette foi en la royauté sociale du Christ, chacun la manifestera par la pratique de la religion catholique tant dans la vie publique que dans la vie familiale. Le cardinal Pie a de remarquables instructions sur les pratiques publiques : la sanctification du dimanche (la loi du dimanche, chef-d'œuvre de la législation sociale, dit-il), sur la Messe sacrifice public de la religion chrétienne, sur la liturgie qui est l'ensemble du culte public, sur le pèlerinage, manifestation publique de la Foi. Il insiste sur ce devoir pour tout chrétien de se poser en chrétien dans toute sa conduite publique. "L'infidélité générale que vous invoquez comme une excuse est une circonstance qui aggrave plutôt qu'elle n 'atténue votre faute".

-        
Le devoir de charité politique
Se poser en chrétien dans toute sa conduite publique, c'est tout particulièrement, remplir ce devoir de charité politique qu'évoquait Pie XI. Tout ce que nous avons dit justifie, explique cette dignité particulière que Pie XI attribue à la politique:

"Tel est le domaine de la politique qui regarde les intérêts de la société tout entière et qui sous ce rapport est le champ de la plus vaste charité, de la charité politique dont on peut dire qu'aucun autre ne lui est supérieur sauf celui de la religion. C'est sous cet aspect que les catholiques et l'Église doivent considérer la politique".

Cette action politique n'est donc pas facultative. Dans son exhortation apostolique Christi fideles laici, sur la vocation et la mission des laïcs dans l'Eglise et dans le monde, Jean-Paul Il fait de cette action un devoir exigeant:

"S'il a toujours été inadmissible de s'en désintéresser, présentement c'est plus répréhensible que jamais. Il n'est permis à personne de rester à ne rien faire... Les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique, à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions le bien commun... Le Maître du domaine répète avec plus d'insistance encore : allez vous aussi à ma vigne".


CONCLUSION

N'oublions pas et ne laissons pas oublier ce que nous enseigne le grand apôtre, que Jésus-Christ, après être descendu des cieux, y est remonté afin de remplir toutes choses: "ut impleret omnia". Il ne s'agit pas de Sa présence comme Dieu puisque cette présence a toujours été, mais de Sa présence comme Dieu et homme tout à la fois. Le Christ remplit le monde de Son nom, de Sa loi, de Sa lumière, de Sa,grâce. L'histoire de l'humanité, l'histoire des nations, l'histoire de l'Eglise n'est que l'histoire de Jésus remplissant toutes choses: "ut impleret omnia".

Dire que rien n'échappe au Christ Roi des nations, c'est dire que tout entre dans sa sphère d'attraction ou de répulsion. "Il est la pierre angulaire, pierre d'édification pour les uns, pierre d'achoppement pour les autres, mais pierre de touche pour tous". Le devoir est donc clair, que saint Pie X énonçait ainsi dans sa lettre sur le Sillon (1910):

"Il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d'anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et en législateur... On ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l'a bâtie... La civilisation n'est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est, c'est la civilisation chrétienne, c'est la cité catholique. Il ne s'agit que de l'instaurer et la restaurer sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l'utopie malsaine, de la révolte et de l'impiété : Omnia instaurare in Christo".

Tout restaurer dans le Christ, pour qu'Il règne - c'est le titre de cet ouvrage essentiel de Jean Ousset que chacun devrait avoir lu et travaillé. Tout restaurer dans le Christ pour qu'Il règne, tel est le sens de tout notre combat pour la renaissance d'une chrétienté. "Le salut de la France ne peut être obtenu, écrivait saint Pie X, que par la reconnaissance du règne du Christ sur la nation".

Michel Berger

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(1) Pie XI veut dire que l'on parle ici de roi, de règne par analogie, comme on dit que M. X est le roi de telle ou telle discipline pour signifier sa particulière compétence.

(2)        Éd. Difralivre. En vente à l'A.F.S.

(3) Il manque à cet exposé un paragraphe sur l'aspect ecclésial du règne du Christ. L'Eglise est à proprement parler le royaume spirituel du Christ.